La vie de Salman Rushdie, alias Joseph Anton, après la fatwa

En 1989, l’écrivain Salman Rushdie, accusé de blasphème pour ses Versets sataniques, était condamné à mort par une fatwa de l’ayatollah Khomeini. Alors que la prime sur sa tête vient d'être réévaluée par une fondation religieuse iranienne, il raconte ses années de vie clandestine dans ses mémoires intitulés Joseph Anton qui paraissent ce mardi 18 septembre aux Etats-Unis.

Cela aurait très bien pu être Vladimir Joyce ou Marcel Beckett, mais cela sonnait assez mal. Ce sera donc Joseph Anton. Joseph pour Conrad, Anton pour Tchekov. Le nom que Salman Rushdie se choisit en guise de nouvelle identité, après la fatwa prononcée contre lui par l’ayatollah Khomeni, le 14 février 1989.

Quelques mois avant, le romancier britannique né à Bombay a publié Les Versets sataniques. Le livre déchaîne la fureur de plusieurs pays musulmans qui le qualifient de blasphématoire.

C’est une journaliste de la BBC qui l’appelle pour lui demander comment il se sent depuis l’annonce de l’ayatollah Khomeini, qui lui apprend qu’il est sous le coup d’une condamnation à mort. On lui assigne une protection policière. Il se choisit une nouvelle identité.

« Un cauchemar permanent »

La suite, ce sont neuf ans de vie recluse et mutilée. Une période qu’il raconte dans ses mémoires Joseph Anton qui paraissent ce mardi aux Etats-Unis. Comment vit-on avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ? A la merci du premier fanatique venu gagner sa place au paradis.

Dans une interview à la BBC, il résume : « Ça a été un cauchemar permanent ».
Déménagements à répétition, de maisons d’amis en maisons d’amis, de locations en locations.

Dans son livre, il raconte comment les gestes les plus simples deviennent un casse-tête. Une banale balade doit être minutieusement programmée. Quand la femme de ménage vient, il doit s’enfermer dans la salle de bain. Et le moindre déplacement, une épopée. Comme en 1991 lorsqu’il doit se rendre aux Etats-Unis pour intervenir à l’université de Colombia : un avion de la Royal Air Force est mobilisé. L’escorte qui l’emmène à son hôtel est digne de celle du président américain. A l'hôtel, il séjourne dans la suite présidentielle où les fenêtres sont recouvertes d’un revêtement à l’épreuve des balles…

Le romancier se sent comme Didi et Gogo, les personnages de la pièce de Beckett En attendant Godot. Il ne sait même plus ce qu’il attend. La levée de la fatwa ou son exécution, pour en être enfin libéré. Son traducteur japonais a été assassiné, son traducteur italien et son éditeur norvégien grièvement blessés. Lui vit toujours même s’il aurait échappé à une vingtaine de tentatives d’assassinat.

Sous protection policière permanente, il est condamné à l’exil intérieur. Voir son fils Zafar relève de la gageure. Sa fatwa a aussi abrégé son mariage avec la romancière anglaise Marianne Wiggins à qui ses versets sataniques étaient dédicacés. Le suivant aussi. Salman Rushdie raconte qu'il a survécu grâce aux mots, en écrivant des romans, des articles de journaux.

La libérté retrouvée

Pendant 9 ans, en guise de carte de Saint-Valentin, chaque année, les autorités religieuses iraniennes renouvellent sa fatwa. Le 24 septembre 1998, CNN annonce que le président iranien Mohammed Katami a déclaré qu’il ne tenterait pas de faire appliquer la sentence de mort. Salman Rushdie peut enfin sortir dans la rue.

Ce n’est qu’en 2002 que Rushdie est libéré de toute protection policière. Depuis 2 000, il vit déjà à New-York. Paradoxalement, il fait moins parler de lui que pendant ses années de clandestinité où il apparaissait de temps à autre à l’occasion de conférences de presse surprises. Il se concentre sur sa carrière d’écrivain. En 2004, il s’est remarié avec le top-model indien Padma Lakshmi dont il a divorcé trois ans plus tard. Au moment de l’affaire des caricatures de Mahommet, il est venu pourfendre le « totalitarisme religieux ». Mais en général, il se tient loin des polémiques.

Fatwa perpétuelle

Dans son pays d’adoption, les Etats-Unis, Salman Rushdie s’emploie à vivre une vie normale. Il écrit, enseigne, voit ses amis et sa famille, fréquente les festivals littéraires, voyage pas mal. Une vie libre. Enfin pas tout à fait. Des groupes islamistes ont réaffirmé que la fatwa était toujours valable et illimitée dans le temps. Et la pression se fait toujours sentir.

Dernier événement en date : en Inde, son pays d’origine où ses Versets sataniques sont encore interdits de publication, le film adapté d’un de ses plus fameux roman, Les enfants de minuit, n’a pas droit de cité. Deepa Mehta, la réalisatrice, n’a pas trouvé de distributeur. En janvier dernier, l’écrivain avait dû renoncer à participer au festival littéraire de Jaipur. Il avait reçu des menaces de mort de militants islamistes.

Et L'innocence des musulmans, la vidéo qui a enflammé le monde musulman, semble avoir rappelé à certains la fatwa qui courait sur Salman Rushdie : une fondation religieuse iranienne a augmenté de 500 000 dollars la prime sur sa tête. Celui qui exécutera la fatwa se verra désormais récompensé de 3,3 millions de dollars (2,5 millions d'euros). Les enchères montent et Salman Rushdie n’a sans doute pas fini d’être une bête traquée.

A Londres pour la sortie de son livre, Salman Rushdie a répondu au journaliste du Telegraph qui lui demandait son sentiment sur le film islamophobe : « J’ai toujours dit que ce qui m’était arrivé était un prologue et qu’il y aurait beaucoup, beaucoup d’épisodes semblables. En voilà un. » Avant d’ajouter : « La bonne réponse aurait été de dire c’est nul et pas important. Clairement, c’est de la merde, très mal réalisé et malveillant. Réagir par une telle violence est juste ridiculement inapproprié. Des gens qui n’ont aucun rapport sont attaqués et ce n’est pas bien. »

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