Sur le tarmac de l’aéroport militaire de Villacoublay, le président Nicolas Sarkozy est venu accueillir les deux journalistes français de retour de Homs. Leur avion médicalisé avait décollé un peu plus tôt dans la journée de Beyrouth au Liban où ils étaient arrivés la veille au soir.
Une nuée de journalistes étaient présents pour recueillir les premiers témoignages. Et si les autorités françaises ont été silencieuses quant au scénario de leur exfiltration de Syrie, les deux journalistes n’ont pas encore donné leur version de l’histoire. Très attendus sur le sujet, seul William Daniels s'est exprimé face à la presse. Il n'a pas donné d'information sur leur fuite mais il est revenu sur leurs neuf jours de cauchemar à Baba Amro sous les bombes syriennes. « Presque 300 obus sont tombés certains jours sur Baba Amro dont plusieurs dizaines qui nous cherchaient nous », a confié le photographe.
Une entrée clandestine
C’est une ville de Homs assiégée et bombardée sans relâche depuis plusieurs jours par l’armée de Bachar el-Assad que rejoignent la journaliste Edith Bouvier et le photographe William Daniels au cours du mois de février. Les deux collaborateurs sont sur place pour une série de reportages sur la rébellion syrienne pour le quotidien Le Figaro. Comme de nombreux journalistes occidentaux, ils sont entrés clandestinement, sans visa dans le pays avant de rejoindre le centre de la rébellion, le quartier de Baba Amro.
Ils sont alors plusieurs journalistes présents sur place pour témoigner de la situation. Un centre de presse à même été installé dans une maison pour leur permettre d’envoyer images, sons et textes à leurs rédactions. Un centre pris pour cible par des bombardements le 22 février dernier. Pendant cette attaque, deux journalistes trouveront la mort, le photoreporter français Remi Ochlik et la grande reporter américaine Marie Colvin. Edith Bouvier ainsi que Paul Conroy seront blessés. A leur côté, on apprend la présence d’un autre journaliste occidental, collaborateur du quotidien espagnol El Mundo, Javier Espinosa.
Premier signe de vie
Commence alors une longue période d’inquiétude sur le sort de ces journalistes pris au piège. Le lendemain du bombardement une vidéo circule sur la toile, on y voit Edith Bouvier et William Daniels vivants. Devant la caméra, ils racontent l’attaque, la mort de leurs confrères et Edith évoque sa blessure grave à la jambe et la nécessité d’être rapidement évacuée pour être soignée au Liban voisin. Rapidement les négociations avec le régime de Bachar el-Assad s’engagent pour mettre en place un convoi médicalisé. L’ambassadeur français, à Paris au moment de l’attaque, rentre d’urgence en Syrie pour mener à bien les discussions.
Une évacuation menée par le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge syrien est rapidement envisagée. Et le vendredi un premier convoi médicalisé arrive à Homs, au moment d’entrer dans le quartier rebelle de Baba Amro, la représentante du CICR n’est pas autorisée à se rendre sur place. Les journalistes refusent alors de monter à bord des véhicules. Première occasion manquée. Trois jours plus tard, les ambulances sont de retour à Baba Amro, et alors que les autorités ont recommandé aux reporters de suivre les équipes médicales, ils ne sont pas au rendez-vous.
Première libération
Aucune information ne circule alors sur le sort des quatre correspondants de presse jusqu’au mardi soir lorsque le collaborateur du Sunday Times Paul Conroy arrive au Liban. Les autres journalistes ne sont pas avec lui, et l’on apprend qu’il a été exfiltré de Homs grâce à une opération menée par l’ONG Avaaz et l’Armée libre syrienne (ALS), les insurgés de Homs, composée de déserteurs de l'armée régulière. « En portée et en échelle, l'opération syrienne est la plus importante que nous ayons réalisée jusque-là », explique alors le patron canadien d’Avaaz Ricken Patel.
Mais de cette mission d’exfiltration, on n’en saura pas beaucoup plus. On apprendra juste qu’elle aurait mal tourné pour les trois autre journalistes obligés de se replier sur Homs après avoir été pris pour cible par l’armée syrienne. Plusieurs activistes et insurgés seraient morts pendant cette opération à haut risque et on ignore alors le sort réservé aux reporters. Jusqu’à l’arrivée surprise au Liban mercredi de Javier Espinosa et le lendemain d’Edith Bouvier et de son compagnon d’infortune William Daniels.
Deux scénarios
Un sauvetage salué par les autorités françaises qui ne veulent pas communiquer sur le scénario de l’exfiltration pour ne pas mettre en danger la vie des personnes qui y ont participé. Néanmoins deux scénarios semblent se dessiner. Lundi, alors qu’une tempête de neige s’abat sur la Syrie et plus particulièrement sur la région de Homs, les journalistes et les insurgés chargés de les faire regagner le Liban s’engagent dans un tunnel clandestin. Le groupe parvient à sortir de Baba Amro mais se retrouve sous le feu de l’armée syrienne et se sépare. Seul une partie de la colonne parvient à prendre la fuite vers le Liban avec à son bord Paul Conroy. Il arrivera à Beyrouth quelques heures plus tard avant d’être rapatrié vers le Royaume-Uni où il est actuellement soigné. Interrogé par la presse, il dévoilera très peu d’informations sur son sauvetage.
A partir de la sortie de Baba Amro, les informations divergent. Il semble que Javier Espinosa se soit retrouvé isolé après avoir porté secours à un Syrien blessé. Plusieurs passeurs se relaient alors pour lui permettre d’atteindre la frontière libanaise. Le sort des deux journalistes français est plus flou, sous le feu de l’armée syrienne, ils se seraient repliés dans un autre quartier de Homs ou seraient de retour à Baba Amro. Enfin jeudi alors que l’armée de Bachar el-Assad annonce une offensive terrestre sur le quartier des insurgés, ces derniers publient un communiqué pour évoquer un « repli stratégique ».
Au même moment, une nouvelle mission d’exfiltration se met en place toujours avec l’aide de l’ALS. Une opération couronnée de succès puisque quelques heures plus tard Edith Bouvier et William Daniels se retrouvent saufs en territoire libanais. De leurs derniers instants en Syrie on ne sait pas grand-chose. On les imagine périlleux, d'ailleurs malgré sa blessure à la jambe Edith Bouvier aurait fait de la moto. C'est en tous les cas ce qu'elle a confié à Etienne Mougeotte, le directeur de la rédaction du Figaro. On sait aussi que plusieurs personnes y ont laissé leur vie. Dans un communiqué, l'ALS annonce « la mort de membres parmi les meilleurs de la brigade Farouq à qui avait été confiée la mission d'évacuer les journalistes vers le Liban », sans donner de bilan chiffré.
Une enquête ouverte en France sur la mort de Remi Ochlik
Un sacrifice salué par le chef de l’Etat français lors de l’arrivée des journalistes à Villacoublay. « Je tiens à saluer le courage de tous les démocrates syriens qui ont accompagné Edith Bouvier et William Daniels jusqu'à la frontière libanaise », a-t-il déclaré. Nicolas Sarkozy s’en est aussi pris vivement au régime de Bachar el-Assad assurant « qu’il aurait des comptes à rendre ». Une enquête à d’ailleurs été ouverte en France pour le meurtre du photographe Remi Ochlik.
L’un des premiers objectifs de cette enquête est l’indentification formelle du corps du journaliste français. Sa dépouille et celle de Marie Colvin ont été récupérées ce vendredi à Homs par le Croissant-Rouge syrien, elles sont actuellement dans un hôpital de Damas pour être identifiées avant leur rapatriement en France et aux Etats-Unis.