L’Iran accusé de complot par les Américains

Les Etats-Unis disent avoir déjoué un complot sur leur territoire, visant à assassiner l'ambassadeur saoudien à Washington. Le ministre de la Justice a inculpé deux Iraniens dont un qui a été arrêté le 29 septembre 2011. Selon Washington, ce dernier, un Irano-Américain, aurait eu des liens avec la branche al-Qods des brigades de la Révolution et aurait donc monté le scénario d'un attentat à la bombe contre le diplomate saoudien proche du roi Abdallah. Les Etats-Unis dénoncent un complot ourdi par l'Iran, des accusations rejetées par Téhéran. Cette histoire prend des proportions majeures sur la scène internationale. Pour l'instant, les informations sont parcellaires, une enquête est en cours.

Une histoire digne d’un film hollywoodien

Cela ressemble à un feuilleton digne d'un film hollywoodien, comme l'a qualifié le directeur du FBI, Robert Müller.

Le ministre américain de la Justice Eric Holder a annoncé mardi que l'un des deux présumés coupables avait été arrêté à New York le 29 septembre. Il s'agit de Mansour Arbabsiar, âgé de 56 ans, naturalisé américain, surnommé « le balafré » et décrit dans le New York Times par ses amis et voisins comme quelqu'un de désorganisé, déstructuré, et peu à même de mettre sur pied un stratagème d’une telle envergure.

Quoi qu'il en soit, selon le ministère de la Justice, tout aurait commencé en mai dernier. Mansour Arbabsiar travaillait comme vendeur de voitures d'occasion. Il aurait été contacté lors d'un voyage d'affaires en Iran par l'un de ses cousins membre des brigades al-Qods, les forces spéciales des Gardiens de la Révolution, pour enlever le diplomate saoudien. Mansour Arbabsiar aurait alors tenté de contacter des leaders des cartels mexicains de la drogue, les Zetas, pour que leurs tueurs exécutent le plan. Le marché aurait été conclu moyennant la somme d’un million et demi de dollars. Mais celui qui disait être un dirigeant des Zetas n'était autre qu'un agent infiltré de la DEA, l'agence américaine anti-drogue.
Selon un porte-parole du Conseil de sécurité nationale le président Obama avait d'ailleurs été informé dès le mois de juin de l'existence de ce complot. Le second Iranien inculpé, Gholam Chakouri, se trouverait, lui, en Iran.

Réactions internationales

Selon la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, « l'Iran s'est engagé dans une escalade dangereuse et devra rendre des comptes », car ce complot présumé est une « violation flagrante du droit américain et international ».

Les Etats-Unis envisagent des sanctions supplémentaires contre la Banque centrale iranienne, ce qui isolerait encore davantage l'Iran. La compagnie d'aviation iranienne Mahan Air a été ajoutée à la liste noire des compagnies qui font l’objet de sanctions américaines.

L'Union européenne a mis en garde l'Iran contre des « conséquences très graves ». Le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a appuyé Washington et a déclaré que ce complot, s'il était avéré, constituait une « escalade majeure dans le soutien de l'Iran au terrorisme ».

Quant à l'Arabie Saoudite, dont le diplomate était visé par l’attentat, elle envisagerait de prendre des mesures « décisives pour faire barrage à de tels actes criminels et pour s'opposer à toute tentative de fragilisation de la stabilité du pays, à toute menace contre sa sécurité et à toute propagation de la sédition parmi sa population ».

Quel intérêt pour l'Iran ?

Plusieurs experts spécialistes de l’Iran ne comprennent pas quel avantage Téhéran aurait à tirer de cette situation, sinon de s'isoler encore plus sur le plan international. Selon Mohamed Reza Djalili, professeur à l’Institut des hautes études internationales de Genève, « l’Iran n’a aucun intérêt à organiser ce type d’attentat en territoire américain. A moins que ce soit un électron libre au sein des Gardiens de la Révolution qui ait organisé ce projet d’attentat, c’est une probabilité, encore faut-il avoir des informations plus détaillées pour admettre cette hypothèse ».

Même analyse d’Azadeh Kian, professeur de sociologie politique à l'université Paris 7 Diderot, auteur de L'Iran, un mouvement sans révolution, la vague verte face au pouvoir mercanto-militariste, aux éditions Michalon. « Je suis assez dubitative quant à la participation du régime iranien à cet attentat, à un moment où il est de plus en plus isolé : le régime syrien qui est le seul allié de l’Iran dans la région est déjà très contesté par les Syriens eux-mêmes et au ban d’une grande partie de la communauté internationale, notamment l’Europe et les Etats-Unis et de plus en plus la Chine et la Russie. Donc pourquoi les Iraniens iraient provoquer les Américains chez eux ? Cela n’est pas dans l’intérêt du régime de la République islamique. »

Et même s’il est vrai qu’il existe de fortes dissensions internes entre les brigades al-Qods et le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, les pressions ne s’exerceraient pas de cette façon, selon Azadeh Khian.

Un contexte régional tendu

Le contexte régional, même s’il n’est pas favorable à Téhéran, n’expliquerait pas non plus un tel scénario.

Les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite étaient en froid depuis que Washington a « lâché » le dirigeant égyptien Hosni Moubarak début février. D'autre part, l'Arabie Saoudite accuse l'Iran de soutenir les mouvements de contestation chiites à Bahreïn, et des manifestations à l'intérieur du royaume saoudien comme celles qui se sont déroulées début octobre dans la riche province orientale d'Al-Qatif. L'Arabie Saoudite préside aussi le Conseil de coopération du Golfe qui a envoyé mille soldats mater la contestation chiite à Bahreïn en mars dernier - Bahreïn où est stationnée la Ve flotte américaine.

Par ailleurs, le dossier nucléaire piétine. Téhéran refuse toujours la supervision de son programme nucléaire par les inspecteurs de l'AIEA. En septembre dernier, les autorités iraniennes se sont dites prêtes à l'accepter, à condition que les sanctions contre leur pays soient levées, des propositions que la chef de la diplomatie européenne considère insuffisantes.

Malgré ces tensions, il semblerait que Téhéran n’aurait rien à gagner d'un isolement encore plus grand sur la scène internationale.

La réaction de Téhéran aux accusations de complot

Téhéran réfute totalement les accusations américaines. L'adjoint du chef des Gardiens de la Révolution a démenti l'implication de l'armée du régime, les brigades al-Qods. Le vice-ministre des Affaires étrangères iranien pour l'Europe et l'Amérique a d'ailleurs appelé Ryad à ne pas tomber dans le piège des accusations de Washington.

Selon Téhéran, il ne s'agit que d'une vaste manipulation pour diviser les pays musulmans, protéger Israël et imposer de nouvelles sanctions sur l'Iran.

Washington soutient que le projet d’attentat contre le diplomate saoudien est bien le fait d’Iraniens, et exige que les hauts responsables du gouvernement qui seraient impliqués rendent des comptes. Le président Barack Obama a affirmé ce jeudi 13 octobre 2011 : « Nous n'avancerions pas de telles hypothèses sans avoir les faits pour prouver ces allégations contenues dans l'acte d'inculpation ».

Une enquête est en cours, Washington a lancé une « alerte mondiale au terrorisme » et a appelé ses ressortissants à la plus grande prudence. 

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