Bataille diplomatique entre Israël et la Turquie

Après la publication du rapport d’enquête de l’ONU sur l’affaire de la flottille pour Gaza qui empoisonne les relations israélo-turques depuis 2010, la Turquie expulse l’ambassadeur israélien à Ankara et suspend ses accords militaires avec l’Etat hébreu. Elle exige des « excuses » de la part d’Israël, pour la mort de sept civils turcs mais elle n’a obtenu que des « regrets ».

Le rapport de 105 pages était prêt depuis des mois. L’ONU le gardait sous le boisseau pour donner du temps à Israël et à la Turquie de reprendre des relations diplomatiques normales. Celles-ci avaient déjà été réduites depuis l’opération israélienne « Plomb durci » contre la bande de Gaza durant l’hiver 2008-2009. Mais le fossé s’était creusé encore en mars 2010 après l’attaque par Tsahal du navire Maavi Marmara qui avait coûté la vie à neuf civils turcs. Ankara avait, en effet, rappelé son ambassadeur à Tel Aviv, exigeant des excuses que l’Etat hébreu refuse obstinément de formuler.

Un rapport « non consensuel » qui donne raison à Israël

Dans ce document, la commission d’enquête de l’ONU estime, certes, qu’Israël a fait un usage « excessif » et « déraisonnable » de la force, ce fameux 31 mai 2010 lorsque l’assaut israélien a été donné sur le bateau turc Mavi Marmara. Mais elle soutient aussi qu’Israël a agi en état de légitime défense face à la « résistance organisée et violente » de certains activistes.

Le rapport donne également raison à l’Etat hébreu en affirmant que le blocus naval qu’il maintient sur l’enclave palestinienne est légal du point de vue du droit international. Un élément que les officiels turcs envisagent de contester en s’adressant à la Cour de justice internationale de la Haye. Démarche longue et complexe en perspective. Mais la force du rapport est considérablement amoindrie par le fait que les membres turc et israélien de la commission, composée de quatre hommes, se sont dissociés des conclusions du rapport.

Un responsable des Nations unies souligne qu’en réalité, les deux parties, israélienne et turque, ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur le récit des événements, ni sur les conclusions du rapport. Le document n'est donc pas un « document qui fait consensus », a dit un responsable des Nations unies. D’ailleurs, le président turc Abdullah Gül a déclaré ce vendredi que ce rapport était « nul et non avenu. »

Des regrets mais pas d’excuses

Le rapport suggère dans ses recommandations qu’Israël présente, non pas des excuses comme le réclament les Turcs mais des « regrets ». Ce que Tel Aviv a fait tout en déplorant la mort des neuf turcs du Mavi Marmara. Israël a répété ce vendredi son refus de répondre aux trois exigences turques : présenter des excuses, verser des dédommagements aux familles des victimes et cesser le blocus de Gaza.

La colère de la Turquie l’amène donc à prendre des mesures de rétorsion supplémentaires vis-à-vis d’Israël. Outre la réduction de la représentation diplomatique de la Turquie à Tel Aviv, les autorités turques ont suspendu les accords militaires les liant à l’Etat hébreu depuis 1996. Le volet maritime avait déjà été interrompu après l’attaque contre le navire turc, l’année dernière. Mais l’autorisation pour les avions et drones israéliens de survoler l’Anatolie, opérations vitales pour l’aviation israélienne dépourvue d’espace aérien conséquent, est officiellement toujours en vigueur. Pour combien de temps ?

Ce vendredi encore, le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu a déclaré que son pays « prendra toutes les précautions nécessaires pour la sécurité de la navigation maritime dans l’est de la Méditerranée » : des déclarations ambiguës laissant planer la menace d’une confrontation des deux flottes au large d’Israël.

Intransigeances

Durant les quinze derniers mois, plusieurs tentatives de rapprochement diplomatique avaient été engagées, en vain. Les positions des deux parties semblent inconciliables. Les Turcs qui estiment qu’Israël est responsable de la tension entre les deux pays, ont précisé qu’ils ne reviendraient pas en arrière tant que des excuses n’auront pas été formulées.

Une intransigeance que François Géré, directeur de l'Institut français d'analyse stratégique, explique par la nécessité pour le gouvernement turc de donner des gages à son opinion publique : « La population turque est très hostile à Israël notamment parce qu’elle est sensible à la question palestinienne et que le sentiment de solidarité islamique la liant aux Palestiniens est fort. »

Israël, qui campe aussi sur ses positions, a dit vouloir renouer des relations diplomatiques normales avec la Turquie. En attendant, l’Etat hébreu déclare disposer lui aussi de moyens de pression. D'après un responsable israélien, le pays devait moderniser des chars et des chasseurs F-16 turcs et vendre des drones à Ankara. « Nous étudions les conséquences de l'annonce turque », a confié le responsable.

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