La bataille pour le contrôle de la rue syrienne a commencé au lendemain de l’abrogation de la loi d’urgence. Vendredi, à la sortie de la grande prière, les forces de sécurité sont brutalement passées à l’action. Un responsable d’Human Rights Watch parle de « carnage » et d’une claire « stratégie du ‘tirer pour tuer' ». Ce week-end, les bilans des différentes organisations syriennes de défense des droits de l’homme tournent tous autour de la centaine de morts. Des dizaines d’arrestations d’opposants ont également été signalées. Vendredi, le déchaînement des forces de sécurité a semblé à son paroxysme, mais ce lundi matin à l’aube, l’intervention de militaires dans la ville de Deraa montre que la répression du printemps syrien a franchi une nouvelle étape.
Les habitants de Deraa, terrés chez eux, terrifiés par les bruits des tirs d’armes lourdes qui raisonnent dans la ville ont vu entrer à l’aube des chars, des dizaines de véhicules blindés et des centaines d’hommes en uniforme. « Mon contact à Deraa n’a pas été en mesure d’identifier clairement à quelle unité appartiennent ces soldats », reconnaît Kaldoun Aswad membre du Comité arabe de défense des droits de l’homme. Mais d’après les informations recueillies par ce médecin syrien exilé aux Etats-Unis, il s’agirait soit de la police militaire, soit de la garde républicaine.
Un appareil sécuritaire totalement contrôlé par le clan Assad
Cette unité, dirigée par Maher el-Assad, le plus jeune des frères du président syrien, fait office de garde prétorienne. En Syrie, la structure des forces armées diffère de celle de l’Egypte et de la Tunisie où des généraux ont refusé de faire tirer sur des manifestants. Le clan Assad, issu de la minorité alaouite, une branche du chiisme, a totalement verrouillé l’appareil sécuritaire. « C’est une forme d’assurance-vie, c’est le syndrome minoritaire », assure David Rigoulet-Roze, chercheur à l’IFAS, l’Institut français d’analyse stratégique. Les alaouites ont réussi à « mobiliser tous les leviers sécuritaires du pouvoir y compris dans l’armée, où mécaniquement ils ne peuvent pas être surreprésentés car ils ne forment que 15% de la population ». L’essentiel des soldats est sunnite. Des rumeurs non confirmées font état de militaires qui refusent de tirer sur les manifestants. Un officier de haut rang aurait même été arrêté. Mais les risques de sédition restent limités car pour permettre « une surveillance permanente, tous les officiers sunnites ont des adjoints alouites », précise encore David Rigoulet-Roze.
Le benjamin de la fratrie Assad est considéré comme le véritable patron de l’armée. Il a la réputation d’être colérique et prêt à tout. Il incarne, aux yeux de nombreux Syriens, la brutalité d’un régime, qui a donné carte blanche à sa police secrète. « L’état d’urgence n’était qu’un instrument des autorités syriennes » parmi d’autres, explique Nadim Houry représentant dans la région de l'organisation des droits de l'homme Human Rights Watch. Deux décrets présidentiels protègent les membres des services de sécurité de toute sorte de poursuites et selon le militant des droits de l’homme « cela a contribué à développer une culture de l’impunité dans les services de sécurité et il est probable que la situation ne changera guère en Syrie tant que l’appareil répressif du régime sent qu’il peut agir totalement au dessus des lois ».
Le précédent de Hama et ses vingt mille morts
Le régime d’Assad-fils ira-t-il pour autant aussi loin que celui d’Assad-père ? Il y a près de trente ans, à Hama, Hafez el-Assad n’avait pas hésité à bombarder la ville pour mettre un terme à une révolte islamique armée. La répression avait tué entre 20 à 30 000 personnes. A priori, un tel degré de brutalité est difficilement imaginable aujourd’hui. Même si les autorités syriennes ont réussi à imposer un blackout médiatique total, les Syriens parviennent à contourner la censure en diffusant sur Youtube et Facebook des photos et des vidéos captées grâce à leurs téléphones portables. Cela devrait suffire à alerter les opinions publiques et contraindre la communauté internationale à sortir de son silence.