Au Liban, les institutions sont bloquées

Le Liban s’enfonce dans une crise institutionnelle sur fond de conflit autour du Tribunal international chargé de juger les assassins de Rafic Hariri. Un compromis reste possible mais le Hezbollah affirme qu’il ne négociera plus après la publication de l’acte d’accusation.

La crise politique, provoquée par le conflit autour du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), entre le Hezbollah et ses alliés d’une part, et la coalition du 14-Mars, dirigée par le chef du gouvernement Saad Hariri d’autre part, s’est transformée en crise institutionnelle.
Le problème a éclaté le 18 juillet dernier, lorsque le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a accusé le procureur du TSL, le Canadien Daniel Bellemare, de « monter de toute pièce » un acte d’accusation incriminant des membres de son parti dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri.

Le gouvernement d’union nationale ne s’est plus réuni depuis le 15 décembre, le Comité du dialogue national, qui regroupe les principaux leaders du pays sous la houlette du chef de l’Etat, est paralysé, et les portes du Parlement sont fermées. Ce congé forcé des principales institutions risque de durer des semaines.

L’opposition, coalisée autour du Hezbollah, réclame que le dossier des « faux témoins » soit déféré devant la plus haute instance juridique libanaise, la Cour de Justice. Ces « témoins », dont la crédibilité avait été mise en doute, y compris par le TSL, sont accusés d’avoir fait de fausses dépositions en 2005 et 2006 dans le but d’accuser la Syrie et certains de ses alliés au Liban du meurtre de Rafic Hariri. C’est sur la base de leurs témoignages que quatre généraux libanais proches de Damas avaient été emprisonnés pendant près de quatre ans, avant d’être libérés sur ordre du TSL pour « preuves insuffisantes et témoignages non crédibles ».

Querelle autour des « faux témoins »

Cependant, le Premier ministre Saad Hariri, bien qu’ayant reconnu, le 6 septembre 2010, l’existence de ces « faux témoins », refuse de déférer le dossier devant la Cour de justice. Il refuse également que cette question soit soumise au vote en Conseil des ministres, de crainte qu’il ne soit mis en minorité. Le président de la République, Michel Sleiman, qui se veut à égale distance des deux protagonistes, veut lui aussi éviter un vote qui risquerait de faire tomber le cabinet.

Entretemps, les institutions sont paralysées. Le budget n’a pas été voté pour la cinquième année consécutive, l’administration fonctionne au ralenti et les réformes sont inexistantes. Plus grave encore, les hauts fonctionnaires et les officiers supérieurs de l’armée et des services de sécurité passés à la retraite ne sont pas remplacés, les permutations diplomatiques et les promotions militaires annuelles sont bloquées.

La querelle autour des « faux témoins » est la raison directe qui empêche le gouvernement de se réunir. Mais cette question n’est que l’une des facettes du bras de fer entre Hariri et le Hezbollah, lequel exerce de fortes pressions sur le Premier ministre pour le pousser à désavouer le TSL et à condamner l’acte d’accusation avant sa publication. Surtout après la multiplication des fuites médiatiques qui en ont divulgué le contenu.

L’intervention de la Syrie et de l’Arabie Saoudite, parrains régionaux des deux protagonistes, dès le début de la crise, a certes empêché, jusqu’à présent, des développements dramatiques et une déstabilisation sécuritaire. Mais la tension persiste et se traduit par des discours belliqueux et des menaces à peines voilées, de part et d’autre.

Pour le Hezbollah, le TSL est un « outil israélo-américain » destiné à déstabiliser le Liban et à entraîner la « résistance » anti-israélienne dans une discorde sunnite-chiite. Pour Saad Hariri, le Tribunal est une institution indépendante qui va rendre justice aux familles des victimes des attentats des dernières années au Liban, et mettre un terme à l’impunité dont jouissent les assassins.

La stratégie du Hezbollah

Dans une dizaine de discours et de conférences de presse depuis juillet, Hassan Nasrallah a tenté de décrédibiliser le TSL et la Commission d’enquête internationale relevant de Daniel Bellemare, qu’il accuse d’être infiltrés par des services de renseignement israéliens et occidentaux. Le Hezbollah sait pertinemment qu’il ne peut pas obtenir l’annulation du TSL, créé par la résolution 1757 du Conseil de sécurité. Son objectif est de faire en sorte que le Tribunal n’ait plus aucune couverture libanaise, à travers le retrait des quatre juges libanais qui y siègent et l’arrêt de son financement par Beyrouth.

Mais ni les pressions politiques et psychologiques, ni les « indices » fournis par le Hezbollah sur une éventuelle implication d’Israël dans le meurtre de son père, n’ont fait reculer Saad Hariri, qui reste attaché aussi bien à « la stabilité du Liban qu’à la justice ».
La maladie du roi Abdallah d’Arabie Saoudite, en convalescence aux Etats-Unis après une opération subie en novembre, a ralenti les efforts syro-saoudiens. Toutefois, ceux-ci semblent avoir été réactivés ces derniers jours et le Hezbollah assure que le « compromis est imminent ». Selon les milieux de l’opposition, l’arrangement en gestation répondrait aux souhaits du Hezbollah qui s’engagerait, en contrepartie, à garantir l’avenir politique de Saad Hariri. Mais le Premier ministre n’affiche pas le même optimisme et son entourage déclare qu’il n’est pas question de « désavouer le TSL et de renoncer à la justice ». Saad Hariri pense qu’après la publication de l’acte d’accusation du TSL, il pourra négocier une position de force et obtenir du Hezbollah de plus grandes concessions.

Hassan Nasrallah, lui, a été très clair : après l’acte d’accusation, c’est une autre étape qui commence… où il n’y aura plus de place à la négociation.
 

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