RFI : Frédéric Encel, que faut-il penser du message d'Oussama Ben Laden au peuple français ?
Frédéric Encel : Je pense qu'il s'agit d'un message de type « ne m'oubliez pas, je suis là. Il y a longtemps que je n'ai pas réussi d'attentat spectaculaire, et neuf ans après le 11-Septembre, tout ce que je peux faire pour l'instant, c'est menacer, donc je le fais ».
Il est à la fois aux prises au Pakistan à l'armée pakistanaise, en Afghanistan aux armées de l'Otan, au Maghreb aux efforts unis d'un certain nombre d'Etats, mais également au Yémen à des adversaires extrêmement durs. Force est de constater qu'al-Qaïda n'a pas réussi d'attentat spectaculaire depuis très longtemps.
RFI : Il met tout de même l'accent sur la prise d'otages au Sahel par laquelle Aqmi se réclame de ses œuvres...
Frédéric Encel : La question est de savoir si ce n'est pas un groupe franchisé. Depuis quelques années, un certain nombre de groupes locaux (en Asie du Sud-Est, en Asie centrale, au Maghreb) se réclament d'al-Qaïda. Pourquoi ? Parce que sur les plans médiatique et psychologique, c'est beaucoup plus intéressant. La caisse de résonance sera beaucoup plus grande que si l'on se réclame d'un groupe local.
De l'autre côté, en amont, al-Qaïda, qui ne parvient pas à obtenir de résultats concrets là où elle souhaite frapper, assume ces actes. Elle assume même des attentats sur lesquels elle n'a parfois aucune prise.
Je ne sais pas si, au Sahel, il s'agit vraiment d'un système de franchise, mais même si c'est al-Qaïda pilotée depuis les montagnes du Waziristan, cela n'a tout de même pas un retentissement majeur.
Le kidnapping de plusieurs personnes est toujours un évènement délicat et douloureux, mais sur le plan géopolitique, ce n'est pas au niveau des attentats monstres qu'on a pu connaître, comme le 11-Septembre, Bali ou même Casablanca. Ici, la région visée et le type d'action sont plus périphériques.
RFI : Al-Qaïda, moins présent sur les grands théâtres d'opération, cherche donc à s'accrocher à des franchises. N'est-ce pas particulièrement le cas au Maghreb islamique et dans les pays du Golfe, notamment au Yémen ?
Frédéric Encel : Ce sont les deux territoires sur lesquels il règne une véritable incertitude quant à l'authentique capacité d'al-Qaïda de frapper. Au Yémen, mais aussi dans le golfe d'Aden et au large de la Somalie, plusieurs groupuscules se réclament de près ou de loin d'al-Qaïda. En sont-ils réellement ? Pour certains, le modus operandi correspond à ce que l'on connaît, mais pour d'autres, sans doute la majorité d'entre eux, ce n'est pas le cas.
Au Sahel, même s'il s'agit d'une région périphérique, on est quand même sur une stratégie de chaos dans une zone qui, économiquement, est relativement intéressante. Je pense notamment au Niger avec l'uranium.
RFI : La référence à al-Qaïda n'est-elle pas un label idéologique valant à Aqmi la reconnaissance de Ben Laden, qui cite la prise d'otages des Français au Niger ?
Frédéric Encel : C'est très intéressant à la fois pour les groupes locaux sur le terrain et pour Ben Laden dans ses montagnes de jouer ce jeu. Après tout, l'unique mouvement islamiste radical à avoir réussi des attentats spectaculaires à commencer par le 11-Septembre, c'est al-Qaïda. Donc, je pense que le label demeurera, même après la disparition de Ben Laden. Il n'est pas éternel, mais après lui la marque de fabrique restera, avec simplement un autre chef. La marque al-Qaïda est là pour rester très longtemps.
RFI : Les déclarations de Ben Laden peuvent-elles influer d'une manière ou d'une autre sur le sort des otages du Niger ?
Frédéric Encel : Cela signifierait qu'il sait très précisément ce qui se passe. S'il le sait précisément, s'il a pouvoir sur les évènements, cela voudrait dire qu'il est à la manœuvre. Je ne le crois pas. Les services de renseignement occidentaux ou ceux des Etats du Sahel n'ont pas la preuve qu'il y a direction, manipulation depuis les montagnes du Pakistan et de l'Afghanistan.
En réalité, ça ne coûte rien à Ben Laden de dire : « Attention, si vous, France, ne sortez pas d'Afghanistan, il va en cuire à vos otages ». Si jamais, par malheur, il devait se passer quelque chose de tragique, il pourrait toujours assumer ce qui s'est passé, parce qu'il aura menacé préalablement. Et si ça ne passe pas, il pourra toujours considérer qu'il aura fait preuve de mansuétude. Dans tous les cas de figure, c'est une sorte de dispositif médiatique gagnant-gagnant.
RFI : Ses déclarations peuvent-elles donner des idées à certains mécontents en France ou en Europe ?
Frédéric Encel : C'est la grande angoisse pour les services de renseignement européens. On sait que la troisième génération, la génération contemporaine des islamistes radicaux sont et seront recrutés dans les Etats dans lesquels ils vivent, et dont ils sont citoyens, notamment en Europe occidentale. La première génération, c'est ce qu'on a appelé les Afghans. Il y a une deuxième génération, qui était composée de gens provenant des sociétés arabes et centre-asiatiques. Et puis la troisième génération, on l'a vu avec les attentats de Londres, ce sont des gens qui sont d'origine étrangère sur une ou deux générations, mais bel et bien citoyens des Etats européens. Tant que le label d'al-Qaïda sera apprécié, tant que l'on entendra sur des radios arabes ou qu'on lira sur internet des appels aux attentats, cela donnera des idées notamment à des gens en recherche identitaire : « Qui suis-je, moi Français, Anglais ou Allemand, qui, malgré tout, ne me reconnaît pas dans le pays dans lequel je suis né, qui souhaite revenir à des origines plus ou moins mythifiées, et qui vit une situation sociale compliquée ?». Là, on a un terreau potentiellement très fertile.
Propos recueillis par Monique Mas