Fin de la mission de combat américaine en Irak

Avant le discours que Barack Obama doit consacrer ce mardi 31 août à la fin de la phase combattante américaine en Irak, Pierre Guerlain, professeur de civilisation américaine à l'Université de Paris X - Nanterre, évalue la portée de ce retrait militaire. Il est l'invité de RFI.

RFI : Ce mardi 31 août 2010 marque la fin de la mission de combat de l'armée américaine en Irak ; étrange fin de mission puisque 50 000 militaires restent en Irak. Quel bilan militaire faites-vous de ces sept ans de guerre ?

Pierre Guerlain : C'est en effet un retrait tout à fait relatif, car à ces 50 000 militaires de carrière s'ajoutent toutes les milices privées, comme par exemple l'ancienne Blackwater, qui restent sur place notamment pour assurer la sécurité des dirigeants et du personnel politique irakiens. Il y a une phase de combat qui a pris fin, mais une énorme présence militaire américaine demeure sur place, l'ambassade américaine de Bagdad est la plus grande du monde, et les Etats-Unis ont fait signer des contrats pétroliers aux Irakiens qui, soi-disant, dirigent leur pays. En outre, une partie des troupes vont partir en Afghanistan, dans une phase où ce pays redevient un problème très grave pour les Etats-Unis. Donc, c'est un retrait très relatif, et une non-victoire présentée comme une semi-victoire.

RFI : Cette intervention avait pour objectif d'abord de mettre à bas Saddam Hussein, ce qui a été fait en son temps par George Bush, mais aussi d'établir la démocratie en Irak. Peut-on dire, comme certains le font aujourd'hui à Bagdad, que la police et l'armée sont prêtes à assurer la succession et que la vie politique est normale ?

P. R. : Cet argument de la démocratie n'a été mis en avant qu'après la découverte de l'absence d'armes de destruction massive, c'est en fait un alibi. Les tensions communautaires sont très graves entre les trois grands groupes qui existent en Irak, sunnites, chiites et Kurdes. Beaucoup de gens sont exclus du processus politique, d'où une instabilité et une violence qu'on appelle « terroriste ». Et surtout, il y a un terrible appauvrissement du pays : la situation économique de la plupart des Irakiens est catastrophique, même si, évidemment, le déclin de l'Irak avait commencé avant l'intervention de 2003, avec les sanctions.
Sur le plan humanitaire, entre 2 et 4 millions d'Irakiens ont quitté le pays, et les attaques terroristes ne sont pas terminées. On ne peut pas dire que ce soit un succès !

RFI : Aux Etats-Unis, le président Obama pourra tout de même dire « j'ai tenu ma promesse d'un retrait au 31 août 2010 »...

P. R. : Il faut distinguer la propagande de la réalité. Effectivement, une partie des soldats américains s'en vont, certains partent en Afghanistan. Mais si ce retrait relatif va dans la bonne voie, rendre la souveraineté aux Irakiens n'est pas à l'ordre du jour. Et en renforçant la présence militaire en Afghanistan, Obama fait pire que Bush, c'est-à-dire qu'il envoie plus de troupes alors que les militaires, tant américains que français par exemple, savent maintenant que cette guerre n'est pas gagnable militairement, qu'il va falloir trouver une solution politique, et qu'on s'oriente peut-être vers des négociations avec des soi-disant talibans modérés. Cette guerre coûte très cher, c'est un échec et, pour le moment, l'administration Obama a choisi l'escalade, de même que l'administration la plus progressiste sur le plan intérieur des cinquante dernières années, c'est-à-dire celle de Johnson, avait choisi l'escalade au Vietnam, pour arriver à l'échec que l'on connaît.

RFI : Pour ce qui est du Proche et du Moyen-Orient, l'élection d'Obama avait pourtant changé, sinon la donne, du moins les perspectives.

P. R. : Oui, cette élection a suscité un très grand espoir. D'abord parce qu'Obama n'était pas Bush, qui était unanimement détesté sauf en Israël, ensuite parce qu'Obama, en tant que président africain-américain, représentait un autre visage de l'Amérique. Il a eu le prix Nobel de la Paix avant de faire quoi que ce soit, il a fait un discours au Caire l'année dernière qui a suscité beaucoup d'espoirs... Mais il faut bien comprendre que la politique étrangère n'est pas décidée par un homme, mais par de nombreuses institutions, et qu'Obama est le prisonnier du complexe militaro-industriel tout comme les autres présidents, que peut-être il ne peut pas faire ce qu'il veut, mais que de toutes façons, les choses n'ont pas bougé pour le moment sur la question israélo-palestinienne.
Par ailleurs, la situation politique est très difficile pour lui, car il est confronté à une droite très bien organisée qui lui fait la vie dure sur le plan intérieur. Certains l'accusent d'être socialiste, d'autres croient qu'il est musulman, il est la cible d'attaques racistes. Il a fort à faire avec une opposition très bien financée par des groupes identifiés, qui ont essayé lors d'une manifestation à Washington il y a deux jours de kidnapper l'héritage de Martin Luther King !

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