De notre correspondante à La Haye,
Depuis le début de l’opération « Bordure protectrice » le 8 juillet, la menace d’une saisine de la Cour pénale internationale (CPI) est régulièrement brandie par les leaders palestiniens, en marge des négociations avec Israël. Deux jours après l’accord de cessez-le-feu « illimité » du 26 août, un responsable du Fatah a ainsi menacé de se tourner vers la juridiction si l’ONU n’établit pas un calendrier pour la fin de l’occupation israélienne. Cité par l’agence palestinienne Ma’an News, Nabil Shaath affirme que des débats sont en cours sur la possibilité de déposer, le 15 septembre, une demande auprès du Conseil de sécurité pour la mise en place d’un calendrier de retrait. En cas de refus, les palestiniens se tourneraient alors vers la CPI, menace-t-il.
L’Autorité palestinienne fait monter la pression
A quelques heures de l’ouverture des négociations israélo-palestinienne au Caire le 5 août, le ministre des Affaires étrangères palestinien, Riad al-Malki, avait été reçu à La Haye par la procureure de la Cour pénale internationale (CPI).La Cour n’est pas compétente à ce jour, avait déclaré la procureure Fatou Bensouda au terme de cette rencontre, précisant n’avoir reçu de Ramallah « aucun document officiel » reconnaissant l’autorité de la juridiction ou demandant l’ouverture d’une enquête.
A ce jour, ni les Palestiniens, ni les Israéliens n’ont ratifié le traité de la Cour. Or elle ne peut poursuivre que les auteurs de crimes commis sur le territoire de ses Etats membres, ou par leurs ressortissants, à moins qu’elle ne soit saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies, comme ce fut le cas pour le Darfour et la Libye. Or les Occidentaux sont opposés à toute intervention de la Cour dans le conflit israélo-palestinien.
« Un divorce définitif »
Depuis cette rencontre, l’Autorité palestinienne n’a toujours pas saisi la Cour. A La Haye, le chef de la mission palestinienne, Nabil Abuznaid assure ne pas « bluffer ». « Nous sommes sérieux. Mais si quelque chose se passe vraiment, s’il y a un espoir pour les Palestiniens, si les Israéliens sont vraiment impliqués, nous préférons signer un traité de paix plutôt qu’un document de la Cour », dit-il. Pour le diplomate, « aller devant la Cour sera irrévocable. Une fois que la procédure sera enclenchée, nous ne pourrons plus revenir en arrière. Ce sera un divorce définitif. Est-ce que nous sommes prêts à un divorce définitif maintenant ? Nous avons besoin de laisser du temps à la médiation avant cela. Notre intention est avant tout de protéger notre peuple. »
Une procédure à double tranchant
Si la Cour devait enquêter sur les crimes en cours, elle pourrait cibler toutes les parties au conflit. Une mise en garde brandie par les capitales occidentales pour tenter de dissuader les Palestiniens de se tourner vers la CPI. « Ce processus pourrait conduire à des procès contre des Palestiniens, mais nous sommes prêts, assure Nabil Abuznaid, et le président Abbas veut que toutes les factions soient d’accord avec ça ». Au cours des dernières semaines, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a transmis pour signature un document aux différentes factions palestiniennes, Hamas et Jihad islamique compris, en faveur d’une reconnaissance de la Cour.
Au cours du mois de juillet, les factions de l’Organisation pour la libération de la Palestine ont approuvé la démarche, suivies, le 24 août, par le Hamas.
Pressions contre la Cour et l’Autorité palestinienne
Depuis le début de l’opération « Bordure protectrice », de nombreux juristes internationaux et militants des droits de l’homme en appellent à la CPI, dénonçant des pressions exercées sur la Cour et l’autorité palestinienne. Pour Nabil Abuznaid, il ne s’agit pas « de pressions ». « Le message n’est pas "non". Ils ne nous disent pas de ne pas y aller. Mais ils disent plutôt que si nous allons devant la Cour, la procédure juridique prendra le pas et qu’ils ne pourront rien faire. Nous préférons préserver l’option politique. » Aujourd’hui, ajoute-t-il, « c’est un moment critique. Il y a de sérieux développements. Le Hamas accepte de négocier. Les Israéliens négocient indirectement avec le Hamas. Je pense que c’est un nouveau moment dans le processus de paix. »
Le 18 août, l’ONU a mis sur pied une commission d’enquête internationale chargée d’enquêter sur les crimes commis dans cette guerre de sept semaines, qui s’est soldée par la mort de plus de 2 000 Palestiniens et de 70 Israéliens, dont 6 civils. Elle devrait rendre ses conclusions en mars 2015.
En 2012, la Cour botte en touche
Ce n’est pas la première fois que Ramallah se tourne vers la Cour. Le 22 janvier 2009, quelques jours après la fin de l’opération « Plomb durci » lancée par l’armée israélienne sur Gaza, les Palestiniens avaient demandé à la Cour d’enquêter. Alors procureur général, l’Argentin Luis Moreno Ocampo avait finalement conclu, trois ans plus tard, qu’il ne lui appartenait pas de décider si la Palestine avait le statut d’Etat et pouvait, à ce titre, ratifier le traité de la Cour.
Mais le vote de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 2012, donnant à la Palestine le statut d’Etat non membre de l’ONU, a changé la donne. Désormais, Ramallah peut ratifier le statut de la Cour. A l’époque du vote, les Occidentaux s’étaient d’ailleurs déjà inquiétés de ses effets, dont la future saisine de la Cour par Ramallah. L’ex-ministre des Affaires étrangères britanniques, William Hague, avait même conditionné le vote de Londres à la garantie de ne pas saisir la CPI. Le Royaume-Uni s’était abstenu. Londres compte, avec Paris, parmi les principaux contributeurs de la Cour et comme d’autres Etats, dispose de leviers pour influer sur la juridiction, qui a besoin de la coopération des Etats pour conduire ses enquêtes, protéger ses témoins, arrêter les suspects.