De Tripoli à Benghazi, une situation toujours confuse en Libye

A Tripoli, le Congrès général national libyen a invalidé le 9 juin l'élection d'Ahmed Maitig comme Premier ministre, lors d'un vote chaotique au profit d’Abdallah al-Thini, le candidat sortant. Puis, le 15 juin, à Benghazi, le général à la retraite Khalifa Haftar a lancé une nouvelle offensive contre les groupes jihadistes. Soigné à l’hôpital pour des blessures légères, le 4 juin, après une tentative d'assassinat dans la grande ville de l’Est libyen, il avait dans la foulée promis « une réponse ferme ». Où va la Libye ? Explications.

La Cour suprême a invalidé l'élection du deuxième Premier ministre. Quelles conséquences cela aura-t-il sur la vie politique libyenne ?
Pour la plupart des observateurs, l'invalidation de cette élection aura un effet d’apaisement sur le semblant de vie politique libyenne. La décision a été acceptée par le deuxième Premier ministre déchu en personne. « Je respecte la justice, j'obtempère devant sa décision », a déclaré Ahmed Maitig, allant jusqu'a qualifier l'invalidation de son élection d'« acquis pour la consécration de l'Etat de droit » en Libye ! Début mai, Ahmed Maitig avait été élu par le Congrès. Mais cette élection chaotique et très contestée s’est effectuée au cours d'un scrutin plusieurs fois reporté, et même interrompu par des hommes armés en pleine séance. Maitig est un indépendant originaire de Misrata, soutenu par les parlementaires du camp islamiste politique dont il avait reçu un vote de confiance. Résultat, pendant un mois, deux gouvernements se disputaient le pouvoir en Libye, chacun soutenu par des milices, faisant craindre des affrontements à Tripoli entre chaque camp. Le sortant Abdallah al-Thini refusait de rendre le pouvoir à Maitig en raison de son élection litigieuse. Du coup, la justice avait été saisie par des députés. La Cour suprême a donc tranché. Le gouvernement sortant d'Abdallah al Thini continue de gérer les affaire courantes et ce au moins jusqu'aux prochaines élections législatives, toujours prévues à la fin du mois… En théorie, parce qu'il y a des doutes sur la possibilité de tenir ce scrutin comme annoncé le 25 juin prochain.

On sait que le général à la retraite Khalifa Haftar mène depuis le 16 mai une campagne militaire contre les groupes islamistes à Benghazi. A-t-il les moyens militaires, logistiques, tactiques de mater ces groupes ?
C'est la première fois qu'un groupe paramilitaire non gouvernemental, en l'occurrence l'autoproclamée « armée nationale » de l'ex-général Khalifa Haftar, met autant de moyens contre les jihadistes. Depuis la mi-mai, les forces pro-Haftar mènent ce qu'elles appellent leur « opération dignité » avec des hélicoptères de combat, des avions de chasse qui bombardent régulièrement la brigade Ansar al-Charia à Benghazi et à Derna ainsi que ses principaux alliés, la Brigade des martyrs du 17 Février et celle de Raffallah al Sahati. Les combats se déroulent aussi au sol, avec déjà plus d'une centaine de morts en un mois. Et pourtant, ces offensives répétées des forces pro-Haftar sont pour le moment un échec. Les jihadistes résistent, tiennent leurs positions. Et pour compenser leur désavantage stratégique, ils commencent à avoir recours à des attaques suicide comme celle qui visait ces derniers jours un QG où se trouvait le général Haftar lui-même. Les jihadistes libyens peuvent aussi recevoir le soutien d'étrangers revenus de Libye, et notamment de Tunisiens. La semaine dernière, une grande figure jihadiste tunisienne, Kamel Zarrouk, a appelé les Tunisiens au jihad en Libye pour soutenir Ansar al-Charia contre les forces d'Haftar. La bataille de Benghazi n'est pas donc encore terminée.

Quelle est la position de l'actuel Premier ministre sur les actions du général Haftar ?
L'actuel Premier ministre de transition ne s'est pas vraiment prononcé sur ce point, mais on peut considérer qu'al-Thini ne fait pas partie des plus virulents opposants aux frappes d'Haftar contre les jihadistes. On se souvient qu'à la mi-mai, la brigade al-Qaaqaa de la ville de Zintan avait attaqué le Congrès, en soutien à l'ex-général Haftar, parce que les députés islamistes avaient vivement condamné son offensive. A cette époque, la brigade Qaaqaa avait demandé le maintien au pouvoir d'Abdallah al-Thini.

Quelle est la position du Qatar et de l'Arabie saoudite, soutiens traditionnels des islamistes, vis-à-vis des actions de ce Général ?
Le rôle des pays du Golfe donne souvent lieu à un certain nombre de fantasmes. Pendant la révolution contre Kadhafi, le soutien du Qatar et des Emirats arabes unis a été très fort. Un soutien militaire, financier, logistique et même humain. Ensuite, on a parlé d'un soutien du Qatar aux islamistes politiques du Congrès, la branche libyenne des Frères musulmans. En ce qui concerne l'Arabie saoudite, il ne faut pas oublier qu'en Egypte, le pays a soutenu le maréchal Al-Sissi, auteur du coup d'Etat militaire contre les Frères musulmans et de la répression meurtrière de ses partisans. Le régime saoudien est détesté par les jihadistes du monde entier, notamment pour sa collaboration avec les Etats-Unis. Pour ce qui est du général Haftar, les jihadistes libyens sont persuadés qu'il bénéficie d'un soutien américain et égyptien, ce que Le Caire et Washington ont nié. Pour autant, comme la France ou de la Grande-Bretagne, l'ambassadrice des Etats-Unis en Libye tient une position ambiguë : Deborah Jones a refusé de condamner ses offensives en expliquant que l'ex-général Haftar combat des groupes que les Etats-Unis considèrent comme terroristes…

Partager :