France : informations contradictoires sur l’affaire Bygmalion

Dans Appels sur l’actualité, des auditeurs demandent des précisions sur l’affaire Bygmalion. Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy ont-ils été informés de l’émission de fausses factures pour le compte de leur parti, l'UMP ? De manière générale, comment contrôle-t-on les comptes d’un parti politique ?

Qui aurait pu prendre l’initiative de contacter Bygmalion pour émettre de fausses factures au nom de l’UMP ?
Une personne à la tête du parti a admis être au courant de ce système de fausse facturation : il s’agit de Jérôme Lavrilleux, désormais ex-bras droit de Jean-François Copé, président démissionnaire de l’UMP. Jérôme Lavrilleux, directeur-adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, qui a reconnu la semaine dernière, lors d’une stupéfiante confession télévisée, qu’il y avait bien eu des dérapages dans les comptes de campagne de l’ancien président. « Il y a eu l’engrenage irrésistible d’un train filant à toute vitesse, a-t-il dit. (…) C’était un problème de financement des dépenses. Elles ont explosé et se sont trouvées plus importantes qu’autorisé ». Désormais député européen, Jérôme Lavrilleux, qui a évoqué un système de fausse facturation à hauteur de 11 millions d’euros, a tenté de reconnaître ses torts : « Je voyais qu’on allait dans le mur mais je n’ai pas eu le courage d’arrêter la machine »

Le directeur-adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy était-il le seul à savoir ?
C’est la question que tout le monde se pose et à laquelle la justice va devoir répondre. Le Parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire le 5 mars dernier, mais suite à ces nouvelles révélations, d’autres enquêtes vont très certainement voir le jour. Lors de ses aveux télévisés, Jérôme Lavrilleux a bien pris soin de dédouaner ses chefs. Ni Nicolas Sarkozy ni Jean-François Copé, à l’époque secrétaire-général de l’UMP, n’étaient au courant de ce système de fausse facturation, a-t-il déclaré, précisant toutefois qu’il n’était « pas seul dans le wagon » - sous entendant ainsi que d’autres personnes étaient au courant. Alors, qui savait ? Jérôme Lavrilleux a donné un premier indice en lâchant cette phrase lourde de sens : « Je n'étais pas le directeur de campagne, mais je ne me défausse sur personne ». Au centre des soupçons, donc, le directeur de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, Guillaume Lambert, aujourd’hui Préfet de Lozère.

Quels sont les arguments de Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé pour justifier le fait de ne pas être au courant des factures de l’UMP ? Pouvaient-ils ne pas savoir ?
Si le budget de la campagne a effectivement explosé, en dépassant de 11 millions d’euros le plafond autorisé, on voit mal comment ces derniers ont pu ne se douter de rien. Rappelons que le budget maximum autorisé pour un candidat à la présidentielle qualifié au second tour est de 22,5 millions d’euros. Nicolas Sarkozy n’a pas encore répondu directement à ces accusations : son entourage s’en est chargé pour lui, expliquant qu’il n’avait pas à être informé des dépenses de campagne, que ce n’était pas de son ressort… Pas sûr que cette stratégie de défense suffise à convaincre les enquêteurs alors qu’on parle d’un dépassement de plusieurs millions d’euros. Surtout quand on connaît le personnage, lui qui aime bien tout gérer, il est difficile en effet d’imaginer qu’il ne se soit pas à un moment soucié du budget de sa campagne. L’argumentaire est quasiment le même chez Jean-François Copé, qui dirigeait à l’époque l’UMP… Comment n’a-t-il pas pu voir ce système de double facturation ? Pour sa défense, il explique qu’il n’était pas au fait de la gestion quotidienne du parti et que donc il ne savait rien. Lors de l’affaire Cahuzac, le président de l’UMP s’en était pris violemment à François Hollande en déclarant : « Soit le président ne savait rien et c’est quand même extrêmement grave, parce que cela signifie que lui-même fait preuve d’une certaine candeur, soit il savait et ça veut dire qu’il a menti au Français  ». Dans l’affaire Bygmalion, Jean-François Copé pourrait s’appliquer cette remarque à lui-même…

De manière générale, comment contrôle-t-on les comptes d’un parti politique ? Quelle institution est habilitée à le faire ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, les comptes des partis politiques ne sont pas contrôlés, ils sont seulement certifiés par des commissaires aux comptes. Ces derniers n’ont pas la possibilité d’investiguer plus en amont. Comme l’explique François Logerot, le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques : « La mission d’un commissaire aux comptes constitue à valider le caractère formel des comptes : les pièces justificatives sont-elles bien fournies ? Y-a-t-il correspondance comptable entre débits et crédits ? Mais il n’y a aucun contrôle de la gestion ni de l’opportunité des dépenses ».

Et qui est chargé de contrôler le financement des campagnes électorales - car au cœur de l’affaire Bygmalion, il y a la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 ?
On soupçonne effectivement l’ancien président d’avoir largement dépassé le plafond de dépenses auquel il avait droit. Si cela se vérifie, cela tendrait à prouver que quelque chose n’a pas fonctionné. Les finances des candidats lors des campagnes électorales des élections présidentielles sont contrôlées par la même commission, la CNCCFP, mais celle-ci ne mène pas d’investigations. Elle est juste chargée de vérifier qu’à une dépense correspond bien une facture. En clair, vous venez de faire campagne, vous envoyez la liste de vos dépenses à la commission avec les factures détaillées et celle-ci contrôle que tout apparaît conforme. Mais, par exemple, si vous dites à la commission que vous avez organisé une réunion publique et que vous produisez une facture pour le prouver, la CNCCFP ne va pas vérifier d’elle-même que cette réunion a bien eu lieu. Et c’est tout le problème dans le cas qui nous intéresse, l’affaire Bygmalion, car apparemment tout un système de fausses facturations a été mis en place, en facturant des prestations qui n’ont pas été fournies…

Du coup, certains réclament aujourd’hui une évolution des systèmes de contrôle…
Concernant les campagnes électorales, le député socialiste René Dosière demande, par exemple, que cette commission dispose de plus de moyens et qu’elle ait notamment un meilleur accès à l’agenda des candidats, pour bien vérifier qu’ils ne masquent pas certaines dépenses dans leurs comptes. En ce qui concerne les partis politiques, là aussi, certains réclament un meilleur contrôle des dépenses, d’autant que les partis sont largement financés par l’Etat. En moyenne, 40 % de leurs ressources proviennent de fonds publics.

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