Narendra Modi : comment peut-on être «un nationaliste hindou» ?

Dans son livre « Narendra Modi : the Man, The Times », le journaliste indien Nilanjan Mukhopadhyay donne des clefs indispensables pour comprendre le parcours singulier du nouvel homme fort de l'Inde. Fruit de plusieurs mois de recherches, d’investigations sur le terrain et d’interviews, cette biographie est un ouvrage précieux qu'il faut au moins feuilleter, en attendant qu'il soit traduit en français.

« J’ai rencontré Jimmy Carter, Bill Clinton, ainsi que les deux Bush, père et fils. En matière de charisme, Modi les bat tous à plate couture », écrit l’Indien Nilanjan Mukhopahyay en citant l'Américain Robert D. Kaplan, à l’ouverture de sa biographie très documentée du nouveau Premier ministre de l’Inde.

Publié en 2013, Narendra Modi : The Man. The Times, sous la plume de ce journaliste réputé, spécialisé de la droite hindouiste, est une lecture obligatoire pour tous ceux qui s’intéressent à la vie politique indienne, l’analysent et l’expliquent au grand public en manque d’informations sur les us et coutumes de la plus grande démocratie du monde. C’est une lecture d’autant plus obligatoire qu’il n’existe pas beaucoup d’ouvrages de qualité sur le parcours de l’homme qui va présider pendant les cinq années à venir sur la destinée de plus de 1/6 de la population mondiale.

Pogrom au Gujarat

Dirigeant du très conservateur Parti du peuple indien (connu sous le sigle BJP créé à partir des initiales du nom du parti en hindi), Narendra Modi, 63 ans, que l’écrasante victoire de sa formation aux récentes élections législatives vient de porter au poste de Premier ministre à New Delhi, n’est pas un nouveau venu dans la vie publique indienne. Militant politique depuis les années 1970, Modi s’est fait connaître en s’imposant en 2001 comme le patron de l’Etat indien du Gujarat (ouest). Il s'est fait depuis élire trois fois de suite, malgré l’incapacité de son administration à protéger la population pendant les émeutes sanglantes qui avaient éclaté en février 2002 et qui avaient fait 2 000 morts, notamment parmi la minorité musulmane.

On a pu parler à l’époque d’un véritable pogrom qui aurait été commandité par le « chief minister » Modi en personne, mais les tribunaux saisis par les familles des victimes ont toujours disculpé ce dernier. D’ailleurs, la population de l’Etat du Gujarat ne lui en a pas voulu puisqu’elle n'a cessé de le réélire. Manifestement, la population indienne dans son ensemble ne lui en veut pas non plus puisqu’elle vient de donner au BJP un mandat massif (majorité absolue avec 282 sièges dans le Parlement qui en compte 543), à la suite de six mois de campagne menée de main de maître par le Narendra Modi en question.

Comment peut-on être « nationaliste hindou » ?

Il n’en reste pas moins que Narendra Modi demeure la personnalité politique la plus controversée de l’Inde. Sa vision d’une Inde animée par le nationalisme hindou, fermée sur elle-même, donne des urticaires à l’intelligentsia indienne nourrie de la pensée universaliste des pères fondateurs de l’Inde moderne, Gandhi, Nehru ou Ambedkar.

« On peut être hindou et nationaliste, mais se présenter comme un " nationaliste hindou "(comme le fait Narendra Modi) est contraire à l’esprit de la Constitution indienne », écrit l’historien indien Ramachandra Guha. Pour le biographe de Modi, c’est précisément ce mélange peu orthodoxe qui fait l’intérêt de son protagoniste. Modi est, selon lui, le premier leader de niveau national à avoir rompu avec le modèle de l’homme politique à la Nehru. Mukhopadhyay explique cette rupture radicale en remontant à l’enfance pauvre de Modi, à l’atmosphère très particulière de la petite ville du Vadnagar au Gujarat où il a grandi partageant son temps entre l’école et l’étal de thé de son père, et l’influence prépondérante de l’organisation Ratshtriya Swayamsevak Sangh (RSS) qui est la matrice idéologique des hindouistes et particulièrement active dans la province frontalière du Gujarat.

Avec une méticulosité exemplaire, le biographe retrace le passé de son sujet, les circonstances matérielles, mais surtout les idées et les traditions qui ont forgé la pensée politique du lointain successeur de Nehru. Toute la première partie est consacrée à l’histoire du RSS et de la mouvance hindouiste. Cette histoire est peu connue en Occident, mais comme le rappelle le politologue Christophe Jaffrelot, elle est essentielle pour la compréhension de l’Inde contemporaine où la tradition hindouiste et la tradition universaliste se livrent une lutte acharnée pour la domination de l’imaginaire et des mentalités.

On lira aussi avec intérêt les pages que consacre Mukhopadhyay au devenir politique de Modi, les combats qu’il a dû mener à l’intérieur même de sa famille politique pour s’imposer d’abord au Gujarat, puis au niveau national avant de se se faire nommer candidat du poste de Premier ministre. Le récit des émeutes anti-musulmanes de 2002 pendant lesquelles Modi est accusé d’avoir fermé les yeux et laissé les hindous massacrer impunément les musulmans, est emblématique de l'approche du biographe qui veut restituer la complexité de l'homme Modi, voguant entre ses propres contradictions. Mukhopadhyay compare son protagoniste à l'Israélien Ariel Sharon qui fut accusé en son temps d'avoir du sang sur les mains, mais dont le patriotisme ne pouvait être contesté.  

Narendra Modi : the Man, the Times, par Nilanjan Mukhopadhyay. Editions Tranquebar, 2013. 409 pages. 495 roupies  soit approximativement 6 euros. Rédigé en anglais, ce livre n’a pas encore été traduit en français.

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