À Thakkaypyin,
Un à un, les élèves se succèdent au tableau pour réciter leur leçon. Baguette à la main, ils pointent des mots écrits à la craie en langue birmane. Ils les épellent à haute voix, en chantant. Assis sur des bancs, une cinquantaine d’enfants musulmans d’âges très différents répètent en chœur, mécaniquement. Accrochés aux cloisons en bambou de la classe, des cartes de la Birmanie, des planisphères ainsi que les alphabets birman et latin. « L’institutrice explique plusieurs fois, autant que nécessaire, se réjouit Musta Kama, 12 ans. Heureusement, elle utilise la langue rohingya en plus du birman car je ne comprends pas quand elle parle birman. »
Il y a deux ans, Musta Kama et ses parents ont fui les combats entre Arakanais bouddhistes et Rohingyas musulmans. Ils ont quitté Sittwe, la plus grande ville de l’Etat de l’Arakan, à l’ouest du pays, pour se réfugier au camp de Thakkaypyin. Les affrontements entre les deux communautés restent fréquents. Fin mars, le personnel humanitaire a même été pris pour cible, accusé de parti pris par des extrémistes religieux.
« J’enseigne aux enfants les additions et les soustractions, explique Zafria, l’institutrice, âgée de 27 ans. Je leur montre comment ajouter des fleurs ou retrancher des animaux grâce à des dessins. » La jeune femme est elle-même une déplacée. Comme tous les autres enseignants bénévoles dans les camps rohingyas, elle a reçu une formation de six jours seulement avant de se présenter face aux élèves. « J’ai appris comment enseigner l’alphabet et tenir la classe sans frapper les enfants », explique-t-elle. Elle reçoit une indemnité de 50 000 kyats par mois, soit 38 euros.
Zafria ne travaille pas dans une école à proprement parler, mais un espace d’enseignement temporaire. Ces structures construites dans les camps de déplacés doivent permettre aux enfants d’apprendre le minimum du minimum. Seuls les mathématiques et la langue birmane y sont enseignées, à raison de deux heures par jour. « On est loin de pouvoir assurer une éducation de qualité dans ces espaces, et personne ne peut en être pleinement satisfait », regrette Bertrand Bainvel, représentant de l’Unicef en Birmanie.
Accès impossible à l’université
La Birmanie a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant qui défend le droit à l’éducation dans ses articles 28 et 29. Mais dans l’Etat de l’Arakan, 30 % des jeunes, quelles que soient leur ethnie et religion, ne suivent pas l’enseignement primaire. Trois enfants sur dix seulement terminent le cycle primaire dans cette région, où près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. « Le ministère de l’Éducation s'est engagé en octobre de l’année dernière à créer un groupe de travail pour bâtir un plan d’action afin de redresser les différents problèmes liés à l’éducation dans l’Arakan », se rappelle Bertrand Bainvel. Or, à ce jour, ce groupe de travail n’a toujours pas été mis en place. L’Unicef reste en discussion avec les autorités afin d’améliorer la qualité de l’enseignement pour toutes les communautés de cet Etat.
Au village de Thakkaypyin, plus de 2 000 élèves vont faire leur rentrée à l’école publique dans les prochains jours. Mais les locaux sont trop exigus pour tous les accueillir. Les collégiens et les lycéens étudieront le matin. Les plus jeunes, l’après-midi. Dans le bureau du directeur de l’établissement, la photo du président U Thein Sein. « Il est antimusulman, accuse U Khin Maung, le principal. Le gouvernement a pour politique de maintenir nos enfants dans un niveau de qualification peu élevé. S’ils étaient éduqués, ils revendiqueraient leurs droits. »
Rafik Khadri, 16 ans, va entrer en terminale à Thakkaypyin. « J’aimerais devenir médecin, c’est mon rêve », s’enthousiasme-t-il. Mais Rafik ne pourra pas aller à la faculté de Sittwe, pourtant toute proche de chez lui. Comme tous les déplacés musulmans, il n’a pas le droit de sortir des camps et de se mélanger à la population arakanaise bouddhiste. Il n’a pas de papiers d’identité. La majorité des Rohingyas sont apatrides. Le gouvernement birman les considère comme des immigrés illégaux bangladais, même si beaucoup d’entre eux sont installés en Birmanie depuis des générations.
« Si nous avions des papiers, nous pourrions voyager librement, aller à l’université de Rangoun, ou dans d’autres établissements ailleurs en Birmanie, se lamente Khin Maung Zaw, un des professeurs d’anglais de Thakkaypyin. Sinon, il n’y a pas de solution. » En novembre dernier, le gouvernement réformateur birman a répété aux Nations unies qu’il ne souhaitait pas octroyer la nationalité aux musulmans de l’Arakan.