Thierry Michel Atangana : entre ombre et lumière

L'homme d'affaires franco-camerounais Thierry Michel Atangana et l’ancien secrétaire d'Etat à la présidence du Cameroun,Titus Edzoa, ont été libérés. Le président Paul Biya a signé un décret qui prévoit des remises de peine non nominatives applicables à leurs cas. Dans Appels sur l’actualité, Bruno, de Douala, était revenu la veille chez Juan Gomez sur la demande faite au Cameroun début février par le Haut-commissariat aux Droits de l'homme l'ONU, de libérer le Français détenu depuis 1997. Atangana avait été condamné pour détournements et malversations - qu’il conteste - à quinze ans de prison, puis pour les mêmes faits en 2012 à vingt ans. Le président François Hollande a jugé, en mai 2013, sa durée de détention « inadmissible ». Ce qui n’a pas empêché la Cour suprême du Cameroun de rejeter, le 17 décembre, le recours d’Atangana. Retour sur cette étonnante affaire qui défraie toujours la chronique.

Juan : Pouvez-vous rappeler brièvement les faits ?
A Yaoundé, le « dossier Atangana » est aussi vieux que sensible. Il empoisonne les relations entre la France et le Cameroun depuis la révélation de cette étonnante affaire. Michel Atangana, 48 ans, est arrivé au Cameroun en 1994, il y a donc vingt ans. Spécialiste financier, il avait été envoyé par son employeur, le groupe Jean Lefebvre, pour des projets routiers... Et il semble satisfaire tout le monde : il est nommé, par arrêté du président de la République, en juillet 1994, à la tête du Comité de pilotage et de suivi des axes routiers Yaoundé-Kribi et Ayos-Bertoua. Atangana est né au Cameroun, et de nationalité française... Mais, précision de taille pour la suite des événements, le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité. Et pour le régime de Paul Biya, Atangana n'est pas Français mais citoyen camerounais. Pourtant, à son arrivée, les autorités lui ont délivré une carte de résident valable jusqu'en 2014, reconnaissant de facto sa nationalité française.

Venons-en au plan judiciaire. Que s’est-il passé ?
Thierry Michel Atangana est arrêté le 12 mai 1997, puis jugé dans la nuit du 3 octobre. Sans avocat… Il est accusé de « détournement de deniers publics, tentative de détournement et trafic d’influence ». Le verdict tombe dans la foulée : quinze ans de prison. Puis en 2008, neuf ans après les faits, coup de théâtre : un juge d'instruction camerounais rend une ordonnance de « non-lieu » total en faveur du condamné. Le pouvoir exécutif fait aussitôt appel du non-lieu... La machine judiciaire est relancée. Michel Antagana reste à l’ombre. Nouveau procès. Plusieurs témoins à charge se rétractent, expliquant les pressions subies en 1997 pour faire de faux témoignages. Il apparaît aussi que de nombreuses pièces comptables du dossier qui prouveraient l'innocence de Michel Atangana ont disparu... Un Scandale. L'affaire prend une tournure embarrassante pour Paris et Yaoundé. Mais Michel Atangana n'est pas libre pour autant. Le dossier traîne.

Bruno : Le refus du Cameroun de libérer M. Atangana va-t-il avoir des conséquences sur ses relations diplomatiques avec la France ?

Il a fallu un courage certain à Bruno Gain, l'ex-ambassadeur de France au Cameroun, pour permettre le rétablissement de l’assistance et des visites consulaires à Michel Thierry Atangana, après dix ans de silence de la France. Pourtant, le 4 octobre 2012, au terme d’une audience qui va durer 5 heures, Atangana est condamné, cette fois à vingt ans d’emprisonnement, et cinq ans de contrainte par corps... pour les mêmes faits que lors de sa première condamnation en 1997. Puis, souvenez-vous, le 31 mai 2013, le président François Hollande fait cette déclaration à RFI : « Au Cameroun, j’ai dit au président Biya que bien sûr dans le respect de l’indépendance de la justice camerounaise, tout devait être fait pour qu’il puisse y avoir une solution qui soit apportée. Ça fait trop longtemps, vingt ans que ça dure, et c’est inadmissible ». Il faut dire que le 30 janvier, le président Paul Biya a fait une promesse sur le perron de l'Élysée, à l'occasion de sa visite de travail en France : « Notre souci, c’est qu’il y ait le maximum de gens libres, mais je ne veux pas contrarier les décisions de justice. » Mais, le 17 décembre 2013, le pourvoi de Thierry Michel Atangana est rejeté par la Cour Suprême du Cameroun... Il se retrouve ainsi potentiellement condamné à croupir dans sa cellule.
 


Quelles  sanctions l’ONU pourrait-il infliger au Cameroun si ce pays refuse de libérer Michel Atangana ? 
En novembre dernier, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies, lors d’une session du Groupe de travail sur la détention arbitraire, a adopté un avis dans lequel il recommande explicitement au gouvernement camerounais de procéder à la libération immédiate de Thierry Michel Atangana, d'enquêter sur les faits et de sanctionner les personnes responsables de sa privation de liberté... Pour lui, Atangana a été « incarcéré au Cameroun dans des conditions inhumaines, et jugé deux fois pour les mêmes faits ». Il demande donc au même gouvernement de verser une indemnisation réparatoire des préjudices causés pour sa privation de liberté depuis le 12 mai 1997. Depuis, la position du Cameroun a du plomb dans l’aile. L'ONU sous-entend clairement que l’exécutif tient le pouvoir judiciaire, et que la séparation des pouvoirs est une simple vue de l’esprit. De plus, ce dossier brouille l'image du chef de l’Etat camerounais qui avait fini par la renforcer sur le plan international, grâce à la double libération des ex-otages français. Paul Biya, 31 ans de pouvoir, a toujours donné l’impression de ne pas céder à la pression. Mais à 81 ans, il est soucieux de son image et d'une sortie honorable de la scène politique - même si cela n'est pas d'actualité. Quoi qu'il en soit, le Cameroun joue gros en cas de non-respect de la sentence de l'ONU, notamment l'interdiction de séjour de certains de ses dirigeants en Occident. De même, son entêtement à ne pas se conformer à ses recommandations pourrait sérieusement compromettre la visite du Président Biya aux Etats-Unis, les 5 et 6 août prochains, dans le cadre du premier sommet USA-Afrique. Le président Biya, qui a le pouvoir de gracier Thierry Michel Atangana, aura certainement à cœur de soigner son image devant Barack Obama. De plus, il sait très bien que Paris considère cette affaire comme une affaire politique. Ne pas libérer Thierry Atangana lui vaudra peut-être, dans les mois à venir, d’autres camouflets humiliants, tels que celui qu’il a vécu récemment en France lors du Sommet sur la paix et la sécurité, où l’on a vu des activistes opposés à son régime venir le chahuter bruyamment à son hôtel... Pour son image, je ne crois pas qu'il y tienne !
  

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