Birmanie : Coup dur pour l'opposante birmane Aung San Suu Kyi

Dans Appels sur l’actualité, Oumar, de Dakar, revient sur la situation en Birmanie, où la constitution de 2008 empêche Aung San Suu Kyi de présenter sa candidature, comme annoncé, à la présidentielle de 2015. Dans un rapport publié début février par un groupe de parlementaires, les principaux responsables politiques, ainsi que des membres de la société civile, semblent écarter toute possibilité de la réformer. Ces experts refusent d’amender la constitution, et en particulier un article concernant directement le prix Nobel de la paix. Explications.

Oumar : La constitution birmane empêche Aung San Suu Kyi de se présenter à l'a présidentielle de 2015. Depuis plusieurs mois, elle appelle le pouvoir à réviser la Constitution, afin de lui permettre d'être candidate. Les responsables politiques semblent écarter la possibilité de réforme de la constitution. Quelles peuvent être les raisons de ce refus ?
La seule interprétation possible, c'est que la Birmanie est toujours dirigée par les militaires et qu'il y a, au sein de l'armée, une forte opposition à ce que la prix Nobel de la paix devienne un jour présidente. Rappelons que la Constitution dont on parle a été rédigée en 2008 sous le régime du général Than Shwe. Le dictateur a dirigé le pays d'une main de fer pendant plus de vingt ans. Avec l'ouverture du pays, et les nombreuses réformes lancées par le président Thein Sein, qui ont entraîné d'ailleurs la levée de quasiment toutes les sanctions internationales, il était évident qu'il fallait aussi changer la constitution. Les militaires, à l'époque, avaient salué le texte, le présentant comme un retour à la démocratie, mais pour les opposants, c'était au contraire la confirmation que la junte prolongeait son contrôle du pays.

Quels sont les articles les plus controversés ?

D'abord, il y a l'article 59, celui qui concerne directement Aung San Suu Kyi, comme taillé sur mesure pour l'empêcher d'accéder à la présidence. Cet article interdit à toute personne mariée à un étranger où ayant des enfants de nationalité étrangère de se porter candidate à la présidentielle. Comme par hasard, Aung San Suu Kyi était mariée à un Britannique, décédé depuis, et elle a deux enfants nées en Grande-Bretagne, donc aussi de nationalité britannique. Les parlementaires ont justifié leur refus d'amender cette partie de la constitution sous prétexte qu'ils avaient recueilli plus de 100 000 signatures contre l'amendement de ce texte. Et comme pour disqualifier un peu plus Aung San Suu Kyi, les parlementaires ont précisé que seul 592 signatures étaient en faveur de la modification du texte. Bien sûr, l'opposante birmane a immédiatement réagi en remarquant qu'à côté des signatures, n'apparaissaient aucun nom et adresse, rendant la pétition nulle et non avenue. D'autres articles de la constitution sont tout autant controversés, comme celui qui octroie automatiquement, sans passer par des élections, un quart des sièges des assemblées aux militaires. C'est beaucoup. Cela donne aux militaires un pouvoir de véto, de blocage. Et c'est pour l'opposition un déni de démocratie. Mais il faut savoir qu'on en est au stade de recommandation. Le comité parlementaire va rendre son rapport au parlement et, pour le moment, on ignore quand et comment ce dernier va procéder en vue d'une révision de la constitution.

En admettant qu'elle puisse se présenter, quelles peuvent être les chances d'Aung San Suu Kyi de remporter la présidentielle ?
Aung San Suu Kyi est extrêmement populaire dans son pays, elle est admirée par une grande partie de la population. C'est la fille du général Aung San, l'artisan de l'indépendance de la BIrmanie. Il a été assassiné six mois avant la proclamation de l'indépendance par un rival politique. Aung San Suu Kyi, qu'on appelle par respect et admiration, la Dame de Rangoun, mais aussi "le Papillon de fer", a su rassembler grâce à sa politique non-violente, inspirée de Gandhi. Elle a passé de nombreuses années en prison et en résidence surveillée. En 1990, son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie avait remporté près de 59% des voix, c'était un véritable raz de marée. La junte avait annulé les résultats. La victoire de son parti aux élections de 2015 ne fait aucun doute. Malgré les nombreuses réformes spectaculaires entreprises ces dernières années sous la rpésidence de Thein Sein, il y a de forte chance que la population vote en masse pour la LND. Donc oui, si l'obstacle est levé dans la Constitution Aung San Suu Kyi a de fortes chances de devenir présidente.

Vous avez dit qu’on octroie automatiquement un quart des sièges des assemblées aux militaires. Pourquoi l'armée peut-elle ainsi siéger au parlement ?

L'explication est simple, la constitution a été rédigée par la junte militaire. Il est donc normal qu'une place soit dédiée à l'armée au sein du parlement. C'est une manière pour eux de garder le contrôle. On entre dans une période très intéressante.... On va voir jusqu'où l'armée est prête à aller et laisser véritablement la place aux civils. On a vu, depuis 2011, que le président Thein Sein a fait de nombreux efforts pour convaincre la communauté internationale de la sincérité de réformer le pays. Mais de nombreux analystes restent sceptiques. Thein Sein ne briguera pas un second mandat en 2015. Il a récemment déclaré qu'il était d'accord pour que la constitution soit révisée, y compris le chapitre qui freine les ambitions politiques d'Aung San Suu Kyi. Apparemment, la résistance est à chercher du côté de l'armée, qui continue à tirer les ficelles et à empêcher l'émergence d'une réelle démocratie dans le pays.

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