Restauration solidaire: Moussa se débrouille comme un chef

Associé au collectif « Toques et Partage », le restaurant «  Manger » à Paris propose des plats soignés tout en contribuant à la réinsertion de personnes ayant décroché du monde du travail pour des raisons diverses. Arrivé il y a six mois d'un centre d'hébergement parisien, Moussa Coulibaly, originaire de Bamako, a vite trouvé sa place en cuisine.

Rien ne prédestinait Moussa Coulibaly à devenir cuisinier dans un restaurant chic du XIe arrondissement. Arrivé à Paris il y a une dizaine d’années en provenance de Bamako, ce jovial malien menait jusqu’à très récemment une existence de cigale. Danseur de formation, il vivait surtout de contrats d’été, le dernier à Montpellier, mais se trouvait bien des fois dépourvu, une fois la bise venue. La vie de Moussa a radicalement changé il y a sept mois lorsqu’il s’est présenté au restaurant Manger, un établissement soigné situé au 24 rue Keller, dans le quartier de la Bastille, à Paris.

Les bases du métier

« Comme avec la danse, ça ne marchait plus trop, je travaillais à mi-temps dans un centre d’hébergement d’urgence dans le XIIIe arrondissement où je préparais les petits-déjeuners », explique-t-il. Constatant qu’il mettait du cœur à l’ouvrage, l’agence locale de Pôle emploi ainsi que La Mie de Pain (une association de lutte contre la pauvreté, ndlr),  l’ont mis en relation avec Toques et Partage. Ce collectif de chefs étoilés s’est fixé pour objectif de créer un nouveau modèle de restauration solidaire et a fait rencontrer à Moussa Thierry Monassier, le propriétaire du restaurant Manger.

Attaché lui-même, depuis longtemps, à ce principe de la restauration solidaire, Thierry Monassier emploie en ce moment à temps complet deux personnes, dont Moussa, en contrat d’insertion ainsi que cinq apprentis en contrat emploi avenir (v. encadré ci-dessous), un véritable défi pour un restaurant qui fait dans le haut de gamme à des prix raisonnables, en misant sur la qualité de la cuisine, du service et du décor. Les débuts ont été assez difficiles, il ne le cache pas, en ce qui concerne ces personnes en réinsertion, arrivant sans aucun bagage et souvent totalement déconnectées du monde du travail.

« On a dû faire de la formation globale en commençant par le plus basique : arriver à l’heure, respecter ses collègues, s’organiser dans le travail ; bref, les fondamentaux. Et pas seulement composer une salade de tomates mais savoir d’où vient la tomate, comment on la transforme, comment on la sert etc. C’est une école de vie et un apprentissage ». Après avoir connu quelques déconvenues dans un premier temps face à des éléments peu motivés ou mal équipés pour embrasser la profession, Thierry Monassier et son chef William Pradeleix ont affiné leurs critères de sélection.

« C’est un métier assez difficile, avec des heures qui sont difficiles aussi. Donc il faut vraiment avoir une passion et une envie », insiste William Pradeleix, un jeune chef qui a déjà pas mal bourlingué (Londres, Marrakech, San Francisco, Bora Bora) et qui ne fait pas dans la facilité : il propose un semainier, autrement dit une carte qui varie chaque jour de la semaine, avec des cuissons différentes (grillé, rôti, vapeur etc.). « Il faut y aller doucement », poursuit-il. « D’abord leur imposer d'arriver à l’heure puis de se plier à la rigueur au travail : le rangement, les produits, les découpes, les levages des poissons ; puis travailler sur une carte plus complexe. On a deux ans pour les amener à devenir des professionnels et à connaître vraiment ce qu’est le métier ».

Un palier supplémentaire

Pour Moussa cependant, tout est allé très vite. « Au début j’étais au sous-sol, je faisais la mise en place et j’épluchais les légumes », se rappelle-t-il. « Mais au bout de trois mois, comme ils ont vu que j’étais motivé, ils m’ont fait monter en cuisine ». « A partir de là, poursuit Moussa, ils ont vu que je me débrouillais bien. Maintenant, je m’occupe de la cuisson des viandes, du poisson. Je fais aussi les sauces et je prépare les entrées. Au bout de trois mois en cuisine, j’étais capable d’assurer le service du midi pour une quarantaine de couverts. Et cela fait maintenant trois mois que je fais le midi, et parfois aussi le soir ».

Le service du soir, c’est encore un palier supplémentaire à franchir car Manger propose à ses clients le « Menu des Chefs », un repas exceptionnel à 57 euros qui se compose d’une entrée, d’un poisson, d’une viande et d’un dessert, quatre délices préparés à partir des recettes de chefs aussi réputés que Pierre Gagnaire, Jérôme Banctel ou Christophe Michalak. Ce prestigieux éventail de recettes change tous les deux mois et demi pour varier les plaisirs et satisfaire la curiosité des habitués du restaurant. En outre, 10% de chaque addition de ce Menu des Chefs sont reversés à l'association Toques et Partage. Désormais entre de bonnes mains, Moussa Coulibaly veut continuer dans la carrière à l’issue de ses deux ans de formation. Grâce à Toques et Partage, il espère trouver une place dans un établissement renommé pour y gravir les échelons. Le but ultime  ? « Peut-être retourner à Bamako pour y ouvrir un restaurant qui combinerait les cuisines françaises et africaines ». Et pour transmettre à son tour l’expérience acquise derrière les fourneaux de William et Thierry.
 

 

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