De notre correspondante à La Paz,
C’est au cœur de La Paz, à la première station du téléphérique rouge, que nous avons rendez-vous pour une visite un peu spéciale. Un « city tour » guidé par… une cireuse de chaussures ! Esther est facile à repérer. Elle porte son habit de « lustra », caractérisé par le fameux passe-montagne bleu.
Cette cagoule en laine, explique Esther, permet de cacher son identité : « C’est un métier mal vu. Pas du tout valorisé. Donc beaucoup préfèrent masquer leur visage. Car certains d’entre nous, des jeunes qui vivent dans la rue, boivent ou sniffent toute sorte de choses. Alors les gens pensent que nous sommes tous pareils. »
Cirer pour payer les études
Parmi les « lustras » comme on les appelle ici, beaucoup d’étudiants, qui font briller des chaussures pour payer une partie de leurs études. L’un d'eux a confié à Esther : « si mes camarades savaient, je ne serais certainement pas président de l’association des étudiants ».
Esther, si elle possède la fameuse cagoule, sorte d’uniforme de la profession, elle ne la met quasiment jamais. « Ce métier, dit-elle, il m’a permis d’éduquer mes quatre enfants, l’argent que je gagne en cirant des chaussures, je l’ai investi dans les études de mes filles, mon aînée par exemple est diplômée maintenant. Alors je ne vois pas pourquoi j’aurais honte de ce que je fais. » Un cireur gagne en moyenne 30 à 40 bolivianos par jour (entre 3,50 et 5 euros). Une visite, c’est 80 bolivianos par personne pour trois heures d’explications…
Aujourd’hui c’est Edith, une Québécoise, qui affronte les éléments – il pleut à verse – pour profiter de la visite guidée qu’Esther fait maintenant depuis deux ans, avec l’aide de l’association Hormigon Armado. Falk fait partie du groupe également, il est Allemand, stagiaire dans l’organisation et il a saisi l’opportunité du tour d’aujourd’hui, « parce que Esther est plutôt connue », m’explique-t-il. En effet, parmi les quelque 3 000 cireurs de chaussures qui travaillent dans les rues de La Paz et de El Alto, la périphérie, on compte très peu de femmes. Esther fait figure d’exception.
Entre les étals du marché et les allées du cimetière
Cette mère de famille, très volubile, guide ses visiteurs dans le quartier du cimetière, où elle a grandi. Un quartier réputé dangereux, où peu de touristes vont se promener. Mais avec Esther, pas d’inquiétude, elle connait les rues comme sa poche. Elle fait passer son petit groupe dans la zone des fabricants de chapeaux de cholitas, puis par la ruelle des poissonniers, où elle donne le nom de chaque espèce, mais elle épargne Edith, végétarienne, et évite les étals des bouchers.
« Pour connaître La Paz, il faut aller de marchés en marchés », dit-elle tout en montrant des doigts le fameux chuño, une pomme de terre déshydratée. A un autre coin de rue elle nous désigne le mocochinchi, boisson typiquement bolivienne, mais qu’elle « déconseille aux touristes, qui sont un peu sensibles de l’estomac ».
Edith vit à La Paz, elle connait donc ces spécialités, mais elle est enchantée de ses découvertes : « Nous sommes allés dans des rues que je ne connaissais pas, et même en vivant ici on a toujours du mal à se repérer dans ce quartier. Et le cimetière, à chaque fois que j’y vais, je reste sans voix. » Effectivement, le passage par le cimetière est un moment marquant de la visite.
Immense, avec des allées proprettes, son organisation est bien particulière : le défunt est d’abord mis dans une crypte pour cinq ans, puis ses restes sont gardés dans une alcôve, décorée avec soin par les proches. Et ces alcôves s’empilent les unes sur les autres, jusqu’à atteindre plusieurs mètres de haut.
La pluie et le cirage
Au cours de la visite, Edith n’hésite pas à poser des questions sur le métier d’Esther, « car c’est aussi pour cela que je suis là, pour connaître le quotidien d’une "lustrabotas". » Alors, entre deux averses, le petit groupe s’abrite et la guide ouvre sa boîte.
L’odeur caractéristique du cirage s’en dégage immédiatement et la « lustra » commence son inventaire : « Ça, ce sont les couleurs les plus communes, le noir et le marron. Un cirage standard avec ces teintes coûte 2 bolivianos. Et on ne va pas se mentir, quand c’est un "gringo" on demande un peu plus ! » Et Esther de reconnaitre que les jours de pluie comme aujourd’hui, les clients se font rares, alors mieux vaut guider des touristes dans les rues de sa ville !