France: la Corrèze, terre de mission pour les prêtres africains

Comment enrayer l’hémorragie des vocations et regarnir les bancs des églises corréziennes ? La question est essentielle pour les pères Cyprien et Epiphane. Le premier est Sénégalais, le second Burkinabè, et si leurs parcours sont différents, leur mission est la même : maintenir en vie une institution sur le déclin.

Un verre de cidre, partagé après la célébration ; c’est ainsi que le père Epiphane, Burkinabè d’une cinquantaine d’années dont une dizaine passées en Corrèze, tente de préserver le lien avec ses ouailles. Dans une annexe de sa paroisse de Brive-Ouest, une poignée de croyants est restée, après une messe des familles qui a fait salle comble. Ce n’est pas tous les jours.

« La Corrèze est une terre de mission », explique-t-il. Des églises à moitié vides, une assistance vieillissante… « Moi, je viens d’une jeune église. Les dimanches de célébration, il y a du monde, de tous les âges. Ce qui m’a convaincu de rester en Corrèze, c’est que les besoins étaient forts, et que je me sentais redevable. »

En 1995, tout juste ordonné prêtre, Epiphane est envoyé dans le sud-ouest du Burkina Faso, pour fonder une paroisse de brousse. Mais une jambe mal soignée suite à un accident de moto rend la tâche impossible. Pris en charge en Corrèze, il y posera finalement ses valises, malgré une brouille, évoquée à demi-mot, entre son évêque et l’ancien prélat de Tulle. Il n’y a pas qu’en France que la crise des vocations mine l’Eglise : « La vie des prêtres est très difficile au Burkina Faso, dit-il. Faire tant d’années d’études, et au final vous avez du mal à joindre les deux bouts… »

Chasse et pêche

Pour le père Cyprien, l’arrivée en Corrèze n’a pas été aussi mouvementée. A 36 ans, l’air d’un jeune premier, sa Casamance lui manque. Originaire du diocèse de Ziguinchor, il aime la chasse et la pêche, et préfère imaginer son avenir au Sénégal, même s’il a retrouvé en Corrèze une contrée verdoyante.

Moins enraciné qu’Epiphane, il est installé à Malemort depuis septembre 2015, pour une période de trois ans renouvelables. « Un contrat », comme le précise l’évêque de Tulle, monseigneur Bestion. C’est lui qui a fait venir Cyprien, grâce à des liens entretenus de longue date avec la Casamance, où, dit-il, les prêtres ne manquent pas. Et cela sans passer au-dessus de l’évêque local, règle à laquelle il ne déroge pas, pour éviter tout bras de fer. Cyprien confirme : « Je suis venu dans le cadre de l’entente entre églises. »

Aujourd’hui, une chose réunit Cyprien et Epiphane : leurs agendas, tout aussi chargés. En plus de gérer six clochers, le prêtre sénégalais rejoint Toulouse chaque semaine pour plusieurs jours, à deux heures et demie de route, pour se spécialiser en théologie dogmatique. Epiphane, lui, a d’abord pris en charge six paroisses autour et à Ussac, mais fait également office d’aumônier pour un collège catholique. Depuis 2008 et le départ à la retraite de son prédécesseur, il doit aussi s’occuper de Brive-Ouest.

Résultat, il « fait la navette, à gauche à droite. C’est de l’organisation ». Pour cette messe des familles, le prêtre burkinabè arrive à la minute près. Pas une de plus pour se préparer. Parfois frustrant lorsque les bancs sont clairsemés, ce qui n’est pas le cas ce jour-là. « Ça me fait un peu vivre de voir une église bien animée. C’est gai, je retrouve mes racines ».

Peur de l’inconnu

Loin de leurs pays respectifs, les pères Epiphane et Cyprien, comme les quatre autres prêtres africains du département, ont dû se fondre dans le moule d’une vieille terre chrétienne. « On a toujours peur de l’inconnu. Mais j’avais confiance », assure Cyprien. Il y a d’abord eu le froid, même s’il explique avoir trouvé depuis des Français plus frileux que lui.

L’animation des lieux de culte, ensuite. « C’est plus participatif au Sénégal. Ici, après la messe, les gens sont pressés de partir. Chez moi ça papote ! » Alors il a cherché à créer du lien. « Je me suis dit qu’à la fin de la messe, je me mettrais à la porte de l’église. Les gens attendent ce petit pas ». Epiphane aussi a dû revoir ses habitudes pastorales. « Il faut plus d’ouverture d’esprit. Ici, il faut accueillir les gens tels qu’ils sont ». Être flexible vis-à-vis de la foi de chacun, en somme.

Parmi ses paroissiens, on s’y retrouve. « Il peut nous surprendre, explique Isabelle, après la messe. Mais il donne un rythme, il met du mouvement. Le chant est très important pour lui, c’est une façon de faire communier les gens, tous ensemble ». Epiphane reste avant tout un « berger, qui s’occupe de ses brebis », poursuit Patrice. Denise, qui parle de lui comme d’un « fils spirituel » assure que le Burkinabè a été « très bien accepté, par tous ». Bien contents dans le contexte actuel, d’avoir un prêtre, plus simplement.

Elan missionnaire

L’évêque de Tulle reconnaît « la richesse » que constituent ces prêtres venus de l’étranger, mais évoque aussi « un mirage de l’Europe », vu d’Afrique : « Beaucoup sont déçus, l’isolement est difficile. » Il reçoit malgré tout de nombreuses demandes, notamment de prêtres congolais désireux de s’installer en Corrèze. « Faire venir des prêtres africains n’est pas LA solution. On bouche des trous, on maintient une illusion. » Lui préconise une « prise en charge pastorale différente, missionnaire », à l’image d’ailleurs des jeunes églises qui ont formé Epiphane ou Cyprien. « On ne peut pas tenir le maillage territorial comme avant, poursuit l’évêque. »

Devant son église de Malemort, honorable bâtisse du XIIe siècle, quelques degrés de moins à l’intérieur, Cyprien accepte cette situation. « Ça fait de la peine de voir des églises fermées. Mais il faut se dire que chaque époque a sa réalité. Longtemps, l’Occident a vu l’Afrique comme une terre d’évangélisation. » Les rôles sont-ils en train de s’inverser ? Pour le jeune prêtre, « l’espérance nous invite à nous tourner vers l’avenir ».

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