« Cela a un côté humiliant de voir que la Guinée-Bissau participe à cette compétition alors que nous, nous ne sommes pas de la fête », note Steve Okafor, un commerçant de Lagos, la capitale économique du Nigeria. La Guinée-Bissau a même eu droit aux feux de la rampe en disputant le 14 janvier le match d'ouverture contre le pays hôte, le Gabon, décrochant même un méritoire match nul en inscrivant un but égalisateur en toute fin de rencontre.
D'un côté, le « géant de l'Afrique », l'une des premières puissances économiques du continent et des centaines de joueurs professionnels évoluant dans les meilleurs championnats européens. De l'autre la petite Guinée-Bissau et son million d'habitants, un Etat en grande difficulté qui n'a pas vraiment les moyens de soutenir financièrement son équipe.
Comment expliquer pareille inversion de la hiérarchie traditionnelle ? Le football nigérian reste un miroir de la société. Les maux qui l'affectent sont aussi ceux du pays, notamment le manque cruel d'organisation. Car les individualités de qualité ne manquent pas au Nigeria, en football comme dans les autres domaines d'activité.
Le pays a tout pour réussir : une foultitude d'excellents joueurs, des moyens financiers et même des entraîneurs de qualité.
« The boss »
Ainsi, les Super Eagles avaient trouvé un excellent coach en la personne de Stephen Keshi. Ce défenseur solide, qui a évolué dans les championnats européens, notamment à Strasbourg, était le capitaine des Super Eagles lorsqu'ils avaient gagné la CAN 1994. Surnommé « the boss », il s'est reconverti dans la carrière d'entraîneur et a notamment été le sélectionneur du Togo et du Mali (Il parlait bien français). Keshi est décédé en 2016.
Sélectionneur du Nigeria, il a conduit son équipe à la victoire lors de la CAN 2013. Devenu ainsi l'un des très rares joueurs à gagner cette compétition à la fois comme joueur et comme entraîneur. Lors de la Coupe du monde 2014, il a mené sa formation en huitième de finale. Les Super Eagles ont livré une très belle prestation avant d'être éliminés avec les honneurs par l'équipe de France.
Pourtant aussitôt après la Fédération s'est livrée à une guerre d'usure avec son sélectionneur. Un jour, Keshi était démis de ses fonctions, le lendemain rappelé. Jusqu'à ce qu'il soit définitivement renvoyé dans ses foyers à l'été 2015. Motif officiel de son licenciement : son nom serait apparu sur une liste d'entraîneurs potentiels de... la Côte d'Ivoire.
Gernot Rohr appelé à la rescousse
Son successeur Sunday Oliseh a rapidement été remercié. Le Français Paul Le Guen a été nommé par la suite, mais il n'a jamais pris ses fonctions. Alors que sa nomination était annoncée sur le site de la Fédération, celle-ci affirme ne lui avoir jamais proposé le poste. Comprenne qui pourra. Par la suite, le franco-allemand Gernot Rohr lui a succédé. Défenseur rugueux, il appartient à la génération dorée des Girondins dans les années 80 avec les Tigana, Giresse et autres Marius Trésor. Par la suite, il est devenu entraîneur des Girondins.
Rohr possède une belle expérience du football africain, il a déjà été sélectionneur du Gabon, du Burkina et du Niger. Il doit réaliser une mission difficile : qualifier le Nigeria pour le mondial 2018. Les Super Eagles ont hérité d'un groupe difficile avec le Cameroun, l'Algérie et la Zambie. A priori, le Nigeria pourrait y parvenir. Mais les autorités ne font pas grand chose pour les aider. Comme le souligne Rohr, avant d'affronter la Zambie les joueurs ont dû se lever à 3 heures du matin et prendre un avion à 5 heures. La Fédération ayant changé les billets d'avion au dernier moment pour en prendre de moins chers.
Au Nigeria, comme le souligne Rohr, la Fédération jouit d'une grande autonomie financière par rapport à l'Etat. Elle oublie très fréquemment de payer les primes des joueurs et de les mettre ainsi que le staff technique dans de bonnes conditions de travail.
Grève
Les Super falcons, l'équipe de football féminine qui a réalisé une superbe performance en remportant la CAN en battant en décembre 2016 le Cameroun chez lui, s'est aussitôt après mise en grève. Les joueuses ont refusé de quitter leur hôtel à Abuja et ont marché sur le Parlement. Elles n'avaient pas touché les primes promises. Quant à la sélectionneuse, Florence Omagbemi, au moment où elle a décroché le titre continental, elle n'avait pas reçu son salaire depuis des mois.
Ces problèmes financiers sont récurrents. A cela s'ajoutent les interventions des politiques dans le travail du sélectionneur. Gernot Rohr, ne s'est pas vu attribuer le titre de sélectionneur, mais celui de conseiller technique. Pudiquement, il déclare que cela doit être dû à des problèmes juridiques.
Lors du mondial 1998, alors que les Super Eagles possédaient une très belle équipe capable de rivaliser avec les meilleures, la sélection a alterné les excellents matchs et les contre-performances, du fait des problèmes matériels qui polluent les préparations. Juste avant le mondial 98, le président Abacha est décédé. Une nouvelle qui a plongé une grande partie de l'équipe nationale dans le désarroi. Certains joueurs devaient leur sélection à son intervention.
L'un des ciments de l'unité nationale
Le Nigeria possède un immense potentiel. Le fait que le FC Barcelone ait ouvert en 2016 à Lagos sa première académie ne doit rien au hasard. Les Super Eagles sont l'un des ciments de l'unité nationale. « Lorsque ils jouent, c'est le seul moment où nous nous sentons vraiment nigérians » note Emeka Ugwu, haut fonctionnaire igbo. Il est vrai que les igbos (ethnie qui domine le sud-est) font souvent les beaux jours de l'équipe. Quelques uns des plus plus grands noms du football viennent de cette région, notamment Nwankwo Kanu et Jay-Jay Okocha dont les dribbles endiablés ont enchanté les fans du PSG.
Le football est beaucoup plus développé dans le sud chrétien que dans le nord dominé par la charia (loi islamique). Mais musulmans et chrétiens se retrouvent unis pour soutenir l'équipe nationale. Le pouvoir fédéral devrait consentir un effort de taille pour aider l'équipe. Il a d'ailleurs annoncé qu'un million d'euros allait être débloqué pour verser des primes .Mais il en faudra bien davantage pour que le Nigeria réalise son potentiel. Il faudrait notamment créer des écoles de football, sur le modèle des sports études à la française. Et forcer la Fédération à faire preuve de plus de rigueur dans la gestion des deniers et de l'équipe nationale.
D'ici là, le Nigeria continuera à faire montre d'irrégularités : les exploits alternant avec les déroutes. En attendant, le pays peut toujours recourir à « l'arme » de la prière. L'un des ses meilleurs défenseurs, le rugueux Taribo West qui a fait les beaux jours d'AJ Auxerre dans les années quatre-vingt-dix avant d'aller jouer à Milan a troqué le maillot de footballeur pour l'habit religieux. Il a fondé son église et est devenu pasteur. Une activité tout aussi lucrative que le football. Décidément, au Nigeria, les voies du Seigneur et du ballon rond restent plus impénétrables que jamais.
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