[Chronique] Le Nigeria, terre d'avenir pour l'édition et la littérature

Des grands écrivains à la multiplication des prix littéraires, en passant par le succès des éditeurs locaux et l'engouement des jeunes, la littérature nigériane est dynamique, florissante et au centre de la vie culturelle du pays. C'est même un véritable phénomène de société, qui a encore de beaux jours devant lui.

Des centaines d'adolescents survoltés se rassemblent dans la nouvelle librairie d'un centre commercial de Lagos. Le « shopping mall » en question n'est pas particulièrement chic. Il vient de voir le jour à Surulere, un quartier populaire de Lagos. Ces jeunes Lagotiens se sont donné rendez-vous en quelques heures, grâce aux réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram et WhatsApp. Ils ont choisi de se réunir pour parler de romans nigérians.

Ces livres, ils en ont vanté les mérites sur des vidéos diffusées grâce à Youtube. Des auteurs nigérians sont venus participer à ces rencontres littéraires d'un nouveau type. Les débats sont enflammés pendant plusieurs heures d'affilée. Entre temps, des centaines de livres ont été dédicacés et vendus dans la jubilation.

Il ne s'agit pas d'un phénomène isolé. Lagos compte des centaines de librairies. Certaines d'entre elles comme le Jazz hole, à Ikoyi, un quartier chic de la capitale économique du Nigeria, sont des institutions où les écrivains célèbres comme Chimamanda Ngozi Adichie aiment se balader. Elle rend d'ailleurs hommage à cette librairie dans son dernier roman : à son retour à Lagos, son héroïne Ifemelu aime à flâner au Jazz hole. Tout comme l'écrivain qui lui a donné la vie.

D'autres librairies ont vu le jour récemment dans les centres commerciaux qui fleurissent un peu partout dans cette ville de vingt millions d'habitants. Bien sûr, on y trouve aussi des livres religieux et des ouvrages de développement personnel, mais la littérature y a la part belle. Les autres grandes villes telles qu'Ibadan, Abuja, Port-Harcout, Enugu ou Kano comptent, elles aussi, leur lot de librairies de qualité.

Le succès des éditeurs locaux

Un grand nombre d'ouvrages que l'on y trouve sont imprimés sur place. Ibadan, une grande ville du sud-ouest, est une capitale de l'imprimerie depuis plus de cinquante ans. Des centaines de livres sont également imprimés dans l'est du pays, à Onitsha ou Enugu, depuis des décennies.

Les éditeurs nigérians connaissent une belle croissance. Farafina, éditeur de Lagos, publie des ouvrages de belle facture, notamment les romans de Chimamanda Ngozi Adichie, L'autre moitié du Soleil, L'hibiscus pourpre ou Americanah. Bookcraft, éditeur d'Ibadan, a republié les ouvrages majeurs de Wolé Soyinka à l'occasion des quatre-vingt ans de l'écrivain.

A Abuja, l'éditeur Cassava Republic s'illustre également, il a notamment publié Easy motion tourist, récemment traduit en France sous le titre Lagos lady, de Leye Adenle ou Baga Segui, ses épouses et leurs secrets, un roman de Lola Shoneyin récemment traduit et publié par l'éditeur français Actes Sud. Signe de sa notoriété croissante Cassava Republic vient d'ouvrir en grande pompe des bureaux à Londres.

Au Nigeria, les « book launching » [signatures et lancement de livres, Ndlr] font florès. Organisés dans des hôtels chics, ils réunissent la haute société nigériane et constituent des événements majeurs très médiatisés où les ouvrages sont vendus en grande quantité. Au Nigeria des romans tels que ceux de Chimamanda Ngozi Adichie peuvent s'écouler à 100 000 exemplaires. Des chiffres qui feraient rêver bien des éditeurs d'autres pays africains. Il est vrai que la population dépasse les 180 millions d'habitants et que les classes moyennes éduquées représentent plus de 50 millions de personnes.

Célébrités

Au Nigeria, les écrivains sont pris très au sérieux. La moindre intervention de Wolé Soyinka est très largement commentée : elle fait immédiatement la Une des journaux. Tout comme celles de Chimamanda Ngozi Adichie. Le Nigeria est très fier d'être le pays d'origine du premier Africain prix Nobel de littérature en 1986. Le portrait de Wolé Soyinka est sans doute le plus visible dans tout le pays. Il est devenu une icône à l'image de Mandela en son temps.

Le Nigeria se targue d'être aussi la mère patrie de l'écrivain igbo Chinua Achebe, auteur notamment du roman intitulé Le Monde s'effondre. Un livre considéré par beaucoup comme précurseur dans le domaine de la littérature africaine. Le monde s'effondre, paru en 1958, est par ailleurs l'un des premiers best-sellers de la littérature africaine. Il s'est vendu à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires.

Génération prometteuse

A côté de ces monstres sacrés de la littérature, la nouvelle génération est tout aussi prometteuse. Agée de moins de quarante ans, Chimamanda Ngozi Adichie s'est imposée rapidement comme l'écrivaine la plus célèbre de sa génération, en Afrique, chez les anglophones. Plus de cinquante jeunes écrivains nigérians sont traduits dans des dizaines de langues. Chibundu Onuzo, une jeune écrivaine igbo, a signé à 19 ans, un contrat avec Faber et Faber, l'un des plus prestigieux éditeurs britanniques. Son premier roman, La fille du roi araignée a été traduit dans une dizaine de langues. Dès 2013, le quotidien londonien The Guardian l'intégrait à vingt ans à peine dans le classement des vingt-cinq Africaines les plus influentes.

Au Nigeria, l'entrée dans la carrière littéraire n'est pas considérée comme synonyme de vie frugale, comme dans d'autres pays africains. Des écrivains comme Wolé Soyinka, Chimamanda Ngozi Adichie, Chibundu Onuzo gagnent très bien leur vie, grâce aux ventes de leurs livres bien sûr mais aussi et surtout grâce aux conférences lucratives auxquelles ils participent. A cela s'ajoutent les adaptations de leurs œuvres au cinéma. L'autre moitié du soleil de Chimamanda Ngozie Adichie a fait l'objet d'une adaptation en 2014 par le réalisateur Biyi Bandele. Un budget de dix millions de dollars lui a été consacré : une très belle somme pour le Nigeria. Les droits d'adaptation des œuvres de Wolé Soyinka ont également été achetés par l'industrie du cinéma.

De nombreux prix et festivals littéraires

Des prix littéraires ont récemment vu le jour un peu partout. Les sommes offertes aux vainqueurs sont rondelettes. Le jeune écrivain Abubakar Ibrahim vient de remporter le prix pour la littérature nigériane : il est doté de 100 000 dollars. Une somme qui fait rêver dans les autres pays du continent.

Lors de la cérémonie de remise du prix littéraire Etisalat (du nom d'un puissant opérateur de téléphonie) des sommes considérables sont dépensées - sans doute proches du million d'euros - pour organiser l'événement mais aussi communiquer autour de la cérémonie. Ainsi pour animer la soirée, les organisateurs font venir à Lagos des artistes célèbres comme les chanteurs Youssou N'Dour, Angélique Kidjo ou Asha. Ces cérémonies glamour ressemblent un peu à des remises des Oscars. La littérature y devient un rien « bling bling ». Mais en tout cas, elle sait se rendre séduisante aux yeux du grand public. De grands placards publicitaires indiquent dans la ville l'organisation de ces prix.

Autre signe de bonne santé du monde du livre, des festivals littéraires fleurissent notamment dans le sud du Nigeria : le Ake festival à Abeokuta, la ville natale de Wolé Soyinka, le Lagos Book festival ou le Port Harcourt Book festival. Des centaines d'écrivains du monde entier y sont invités et contribuent ainsi à changer l'image du pays le plus peuplé d'Afrique.

De grandes campagnes ont été lancées par les gouvernements successifs pour développer la culture de la lecture, à l'image du mouvement « Bring back the book », initié par l'ex-président Goodluck Jonathan et soutenu par Wolé Soyinka. La littérature est considérée comme une activité pleine d'avenir. Elle mobilise les énergies des politiques, du secteur privé, d'une partie non négligeable de la population et bien sûr des intellectuels.

Lorsque l'on demande à un enfant ce qu'il veut faire plus tard, il n'est pas rare qu'il réponde : « Prix Nobel de littérature ». Il témoigne ainsi de deux grandes passions du Nigeria ; l'amour des lettres et celui de l'humilité.

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