De notre correspondante à Kaboul
Bracelets en plastique rose, jaune, blanc autour de ses petits poignets, Dina, un an et demi, réalise des châteaux miniatures avec les cailloux de l'allée du jardin d'un restaurant familial de Kaboul, pendant que son père raconte, les yeux rivés au sol, ce qui l'a poussé à fuir en Norvège, il y a deux ans. « Je voulais épouser Razi, explique-t-il, mais ses parents étaient contre. Je suis Hazara, elle est Sayed. Nos deux communautés sont chiites mais les mariages mixtes sont rares. On s'est quand même mariés. Et on a dû quitter Téhéran en Iran, où nous vivions, car nous étions menacés. L'un des oncles de ma femme a appris que nous nous étions réfugiés à Ghazni au sud-ouest de Kaboul. Il est venu et il a tué mon père. »
A ses côtés, Razi sa jeune épouse âgée d'une vingtaine d'années, ne quitte pas leur fille des yeux. Celle-ci est née en Norvège. Le pays les a expulsés sans ménagement, se souvient-elle. « La police nous a convoqués pour des formalités, nous ont-ils assurés. Quand nous sommes arrivés au poste, ils nous ont dit que nous étions expulsés. » Arrivés à Kaboul, après 15 jours passés à l'hôtel pris en charge par l'Etat, ils ont posé leurs quelques sacs dans l'appartement exigu de leurs amis. « Quand nous étions à l'hôtel, confie Razi, je me sentais un peu en sécurité. Mais depuis que nous en sommes partis, j'ai toujours peur que l'on nous retrouve et que l'on nous tue. »
La jeune femme, tout comme son époux, a grandi en Iran où leurs familles avaient fui à cause de la guerre il y a 30 ans. Ils ne connaissent pas l'Afghanistan. C'est aussi le cas de Mohamat, un jeune homme de 21 ans à Kaboul depuis quatre mois. Il confie : « Je reste à la maison, je ne peux pas aller dehors, j'ai peur de sortir. » Dans la rue, il se montre extrêmement vigilant, hâte le pas, regarde discrètement de toutes parts et ne s'attarde jamais. « Quand je suis arrivé ici, explique-t-il, j'ai appris qu'il y avait des attaques, des enlèvements, des attentats-suicide. Je ne connaissais l'Afghanistan qu'à travers les journaux. Quand on sort de chez soi ici, on ne sait jamais si on sera de retour. »
Des cas de suicides
L'insécurité n'est pas la seule préoccupation de Mohamat. Il craint surtout que son oncle le retrouve. Celui-ci, toxicomane, n'a cessé de le battre dans le camp de réfugiés où il grandit en Iran, jusqu'à ce qu'il fuit à l'âge de 16 ans en Norvège. Expulsé dans un pays dont il ignore tout, il a trouvé refuge chez un ami. « J'ai plusieurs fois pensé à mettre fin à mes jours pour être libéré de mes problèmes mais mon envie de vivre, de continuer, a jusque-là pris le dessus », confie-t-il.
D'autres sont passés à l'acte comme l'explique Abdul Ghaffoor. « Il y a plusieurs cas de suicides », affirme le fondateur d'une organisation de défense des réfugiés afghans à Kaboul, évoquant celui d'un jeune homme expulsé de Belgique qui a mis fin à ses jours peu de temps après son arrivée dans le pays. Les expulsions vers l'Afghanistan sont « irresponsables de la part des pays européens », estime le militant. « Ils mettent la vie de milliers de personnes en danger. Et particulièrement en ce moment où la situation sécuritaire du pays se détériore », accuse Abdul Ghaffoor.
Situation sécuritaire
M. Balkhi, le ministre des Réfugiés qui n'a pas paraphé le texte, déléguant cette charge à sa vice-ministre, a toujours clamé que l'Union européenne devait accorder l'asile aux Afghans sans discrimination. Depuis la signature de l'accord, il refuse de s'exprimer sur le sujet. Cependant, quelques jours avant la signature du texte à Bruxelles, Hafiz Ahmad Miakhel, son conseiller média gardait cette même ligne politique en affirmant que « l'Afghanistan n'est pas un pays sûr sur le plan de la sécurité. Nous souhaitons que les pays européens accordent le statut de réfugiés étant donné le contexte actuel : les talibans et l'organisation Etat islamique se battent contre les forces gouvernementales. »
L’exécutif, lui, tient un discours plus modéré. A l'instar de M. Mujib Rahman Rahimi, le porte-parole du vice-président Abdullah Abdullah. « Bien sûr l'Afghanistan n'est pas entièrement sécurisé, reconnaît ce dernier. Il y a des zones qui sont sûres et d'autres qui ne le sont pas. Et en ce qui concerne les réfugiés, on peut difficilement généraliser. Cela dépend de chaque cas. » Pourtant, le nombre de victimes civiles des violences a atteint un nouveau record avec plus de 8 400 victimes dont 2 500 morts depuis le début de l'année.
A (re)écouter → Réfugiés afghans d'une errance à l'autre