L’Afrique a été quasi-absente dans la campagne présidentielle américaine qui vient de s’achever. En l’absence de la moindre pensée stratégique construite sur les possibles contours des relations entre Washington et l’Afrique sous la nouvelle administration, les hommes politiques africains tout comme le grand public du continent se confondent en conjectures, en s'appuyant sur des prises de position générales de l’ex-candidat Trump en faveur du désengagement de l’Amérique des affaires du monde.
Aux Africains qui ont un peu de mémoire, le cri de ralliement du nouveau pouvoir américain « L’Amérique d’abord » n’est pas sans rappeler la formule choc « la Corrèze, avant le Zambèze » qui avait fait florès il y a cinquante ans sous d’autres cieux. Dans le cas de Donald Trump, le désintérêt pour le Zambèze semble aller de pair avec préjugés et méconnaissance de l’Afrique. Pendant la campagne, l’ex-candidat républicain s’est signalé à l’attention par ses saillies racistes du genre : « certains Africains sont des imbéciles paresseux, tout juste bon à manger, faire l’amour et voler » Ou encore : « La plupart des pays africains devraient être colonisés pendant des siècles. »
Si Trump proclame aimer Mandela, il estime que « l’Afrique du Sud est un amalgame criminel prêt à exploser ». Cette approche pour le moins caricaturale de l’Afrique et des Africains n’empêche pas la future première famille des Etats-Unis d’aller chasser du gros gibier au Zimbabwe, comme l’attestent les photos des fils Trump exhibant leurs trophées sanglants, qui ont fait le tour des réseaux sociaux pendant la campagne présidentielle.
Dans ces conditions, comment s’étonner que le futur président de la première puissance mondiale n’ait pas bonne presse sur le continent africain ? Beaucoup pensent que l’avenir des relations américano-africaines est en danger avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine. «Trump, le pire pour l’Afrique ! », s’exclamait à sa une le quotidien guinéen Le Djely, à l’annonce des résultats de la présidentielle américaine, traduisant le sentiment général sur le continent.
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« Une large continuité »
Ce catastrophisme est d’autant mieux partagé que beaucoup ont l’impression sur le continent que les liens entre l’Afrique et les Etats-Unis se sont renforcés au cours des deux dernières décennies, malgré des changements de présidents et de majorité à Washington tous les huit ans. « La politique africaine des Etats-Unis tend à bénéficier d’un soutien bipartisan», a expliqué à l’AFP J. Peter Pham, de l’Atlantic Council à Washington, pour qui il y a eu jusqu'ici « une large continuité » d’une administration à l’autre.
Une continuité entre les administrations de Clinton (démocrate), George Bush fils (républicain) et Obama (démocrate, de nouveau). « On a tendance à oublier, rappelait l’historien sénégalais Mamadou Diouf à l’antenne de RFI, que c’est l’administration républicaine sous Bush junior – réputé ultraconservatrice - qui a mis en place un plan d’urgence pour la lutte contre le sida (PEPFAR), particulièrement efficace, car il continue de sauver des millions de vie. » Obama s’est, pour sa part, rendu en Afrique 4 fois au cours de ses deux présidences et a été le premier président américain à avoir pris la parole au siège de l’Union africaine. On lui doit aussi le tout premier sommet Etats-Unis/Afrique organisé en août 2014 à Washington et le plan ambitieux « Power Africa » pour l’électrification du continent.
C’est cet héritage que les observateurs des relations internationales redoutent de voir démantelé par une administration Trump déterminée à renouer avec l'ancienne politique américaine d’isolationnisme (la doctrine Monroe). Le démantèlement de l’engagement américain sur le continent africain aurait sans conteste des répercussions sur la politique commerciale et celle de l’aide au développement, mais aussi sur la vie des migrants africains aux Etats-Unis ainsi que sur la paix et la sécurité en Afrique.
Commerce
Malgré les sommets et rencontres économiques (Sommet Afrique/Etats-Unis, US-Africa Business Forum) organisés sous l’impulsion de Barack Obama, le commerce entre l'Afrique et les Etats-Unis connaît depuis quelques années un ralentissement. Le chiffre d’affaires est tombé de 100 milliards de dollars en 2008 à 52 milliards en 2014. Le déficit est largement défavorable à la première puissance mondiale.
Partisan d’une politique protectionniste afin de sauvegarder l’industrie domestique, Donald Trump a promis pendant la campagne présidentielle de renégocier les accords commerciaux internationaux tels que l’Alena avec les voisins du continent américain et le Traité transatlantique. Les pays africains craignent qu’il soit tenté de faire de même pour l’Agoa (« Africa Growth and Opportunity Act »), traité signé en 2000 pour permettre à certains pays africains d’être exonérés de taxes pour exporter leurs produits vers les Etats-Unis.
Pour l’ancien secrétaire d’Etat aux affaires africaines, Herman Cohen, interviewé sur RFI, l’inconvénient de ce traité, du point de vue d’un nationaliste comme Donald Trump, réside dans le fait qu’il ne prévoit pas de contrepartie dans le sens Afrique-Etats-Unis. Mais il serait difficile pour le président élu de revenir sur l’accord sans mettre dans l’embarras la majorité républicaine du Congrès qui vient de reconduire l’AGOA jusqu’à 2025. Interrogé par RFI, le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry, a renchéri, estimant que « les produits africains ne concurrencent pas ceux des États-Unis ». « Les produits qui ont des chances d’accéder au marché américain grâce à l’Agoa, ce sont les produits d’artisanat, les produits agricoles », précise-t-il.
Aide au développement
Donald Trump a indiqué qu’il envisageait d’effectuer des coupes sombres dans les budgets des aides au développement accordées par les Etats-Unis aux pays fragiles du globe. Il ne sera pas le premier. Avant lui, Barack Obama, a lui aussi cherché à substituer à la traditionnelle politique africaine axée sur l’aide, un partenariat économique égalitaire.
Il n'empêche qu'en 2014, la dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, le montant d’aide versée par l’USAID à l’Afrique au titre du développement économique, s’élevait à quelque 10 milliards de dollars. Et ce n'est pas tout. Washington finance également des projets de développement en Afrique par le biais d’autres programmes dont le Millenium Challenge Account. Des programmes qui ne survivront peut-être pas le passage de témoin à la Maison-Blanche.
Immigration
L’immigration a été le principal cheval de bataille du candidat Trump. L’homme a multiplié des messages-chocs sur lce thème, mais celui qui a le plus marqué les esprits, c’est sa proposition d’interdire totalement « l’entrée des musulmans aux Etats-Unis ». Il ensuite pondéré ses propos, en limitant sa proposition aux ressortissants d’« États terroristes » dont il n’a pas précisé le nom… En raison de la barrière de la Constitution, sa promesse initiale serait difficile à tenir, mais si d’aventure elle devait être appliquée, elle concernerait entre 400 à 500 millions d’Africains qui n’auraient alors plus accès au territoire américain. Rappelons que plus de 30% de la population subsaharienne ainsi que la vaste majorité de la population de l’Afrique du Nord sont d’obédience musulmane.
Le programme électoral de Donald Trump prévoit également l’expulsion de 11 millions de sans-papiers qui vivent aux Etats-Unis. L’ex-candidat s’est engagé à tripler le nombre d’agents des services de l’immigration et des douanes et à créer une force spéciale chargée d’identifier les migrants sans papiers. En 2013, les Africains clandestins aux Etats-Unis étaient au nombre de 1 830 000. Le retour de ces hommes et femmes au pays serait dramatique pour les économies locales. En 2015, le total des remises de fonds par les migrants africains installés au pays de l’oncle Sam s’élevait à quelque 35,2 milliards de dollars (1).
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Sécurité
Enfin, quelles seront les conséquences de l’élection de Donald Trump pour la présence militaire américaine en Afrique ? Partisan du non-interventionnisme, le président élu s’est dit prêt à désengager l’armée américaine des champs de bataille à l’étranger, tout en appelant à la destruction des terroristes !
Au cours du dernier mandat de Barack Obama, la présence militaire américaine s’est intensifiée sur le continent africain. Les Etats-Unis disposent désormais d’une soixantaine de bases, camps et autres installations de défense à travers les 54 pays que compte le continent. La base militaire de Djibouti compte, à elle seule, entre 3 000 à 4 000 hommes, destinés à participer aux opérations menées contre les Shebabs en Somalie, ou contre les pirates du golfe d’Aden. À ceux-là s’ajoutent les 3 600 hommes, opérationnels dans le cadre de l’Africom, qui participent aux missions onusiennes ou régionales.
Le déploiement en Afrique représente 23% du total du budget militaire américain. Cet argent sert à financer les opérations lancées pour contrer le militantisme islamiste à travers le continent. Les résultats mitigés des campagnes menées contre les shebab en Somalie ou Boko Haram au Nigeria, pourraient conduire la nouvelle administration à repenser les stratégies de déploiement, mais un désengagement militaire de l’Afrique semble exclu, compte tenu de l’importance des intérêts américains dans la région.Le diplomate Herman Cohen, interviewé par RFI, au lendemain de la victoire de Donald Trump, ne disait guère autre chose. « Les messieurs du Pentagone finiront par convaincre le nouveau président de l’intérêt de maintenir la présence américaine sur le continent. »
► L'élection de Donald Trump et la question de la coopération militaire en Afrique
(1) Migration and development brief 26 « Migration and Remittances », avril 26, Banque mondiale