Littérature: au pays des merveilles, avec l’Iranienne Nahal Tajadod

Il y a quelque chose d’Alice dans l’héroïne du dernier roman de Nahal Tajadod, Les simples prétextes du bonheur. Elle aussi, elle a traversé le miroir pour se retrouver dans un monde insolite. Celui de la diaspora iranienne de Paris, peuplée d'épiciers bavards et entreprenants, de danseurs qui vivent au crochet des jeunes filles désireuses d'appendre la calligraphie persane, et de migrants qui amadouent la réceptionniste de la préfecture de police en lui lançant « Madame, le ciel bleu est jaloux de vos yeux ! » A l'étroit dans son monde trop réglé, la protagoniste de Tajadod finira-t-elle par trouver son bonheur parmi ses nouveaux amis iraniens ?

Dans les années 1960, quand Nahal Tajadod était petite fille à Téhéran, il lui arrivait parfois de croiser un vieux magicien sur le chemin du lycée. Vêtu de son costume sombre, celui-ci claquait des doigts en déclamant la formule magique « Aji Maji La Tar Aji » pour que surgissent de son cabas un oiseau, un lapin, une femme tronçonnée et autres prodiges…

Cette formule, Tajadod ne l’a jamais oubliée. Elle en a fait la métaphore de la magie de la vie. Pour elle, il y a de la magie dans le changement survenu ces dernières années dans le regard qu’on porte sur son pays, l’Iran. Il n’est plus celui des barbus enturbannés mais désormais, grâce essentiellement au nouveau cinéma iranien, il est celui d’une jeunesse assoiffée de modernité et de connaissances, qu’incarne admirablement le petit garçon de Où est la maison de mon ami ?, l'un des films d'Abbas Kiarostami. Pour l’Iranienne, exilée à Paris depuis des décennies – « un exil sans pathos », Nahal Tajadod aime le répéter – la magie est aussi dans la vie de tous les jours. C’est ainsi, qu’à chaque Norouz, le Nouvel An iranien, lorsqu’elle est nostalgique de son pays, il lui suffit de redire la formule magique « Aji Maji La Tar Aji » pour voir ressurgir son magicien d’enfance, avec son lot de pigeons, lapins, femmes tronçonnées, mais aussi des révolutions, des films, des actrices et des ans nouveaux, transformant le morne quotidien.

Des bonbons au miel et l’eau de rose

La magie opère aussi pour l’héroïne du dernier roman de l’Iranienne : Les simples prétextes du bonheur, qui vient de paraître. C’est l’histoire d’une Parisienne de nos jours, Cécile Renan, qu’une quête quasi spirituelle conduit vers l’Iran. Là, au contact des mystères d’un monde inconnu et insolite, cette belle cinquantenaire, actrice connue qui a tout pour être heureuse mais ne l’est pas, peut enfin se ressourcer pour se reconstituer.

Tout commence par une soirée d’hiver. Seule dans sa vaste maison, la grande actrice est tout d’un coup prise d’une angoisse existentielle. Son mal se traduit par des crampes à l’estomac, des palpitations, des nausées. SOS Médecins qu’elle a fini par appeler en désespoir de cause lui envoie un médecin barbu, étranger. Il est Iranien, il la soigne avec des bonbons au miel et de l’eau de rose, veille sur elle, passe la nuit assis sur un canapé, avant de partir au petit matin oubliant son stéthoscope. Ce stéthoscope sera le fil d’Ariane à l’aide duquel la protagoniste réussira à sortir du labyrinthe des sentiments et des ressentiments dont elle est prisonnière et retrouver le chemin du bonheur.

Pour Cécile Renan, ce chemin du bonheur passe par la rue des Entrepreneurs, dans le XVe arrondissement où vit la diaspora iranienne de Paris. Là, dans une épicerie tenue par des Iraniens exilés, qui n’ont jamais vraiment quitté leur pays, elle fait la connaissance des hommes et femmes doués d'une grande humanité, aussi pittoresque dans leurs particularités culturelles qu’universels par leurs rêves et leurs ambitions. La découverte de cette humanité, et à travers elle celle de l’Iran riche de son histoire exceptionnelle et de sa poésie à la croisée du lyrisme et de la sagesse, vont bouleverser la vie de la Parisienne, tout en la réconciliant avec elle-même.

Une réconciliation quasi-mystique suggérée par ce beau et mystérieux palais que Cécile Renan visite pendant son voyage en Iran. L'équilibre précaire de l'édifice repose à la fois sur les vingt colonnes en bois qui le soutiennent et le reflet de chacune de ces colonnes dans l’eau. Selon la légende, en prêtant l’oreille, le visiteur pourrait y entendre l’architecte du palais de Tchehel Sotoun déclamer la formule magique chère à l'écrivain : « Aji Maji… »

Mani, Roumi, Hafez, Saadi et Khayyam

L’auteur de ce beau roman, aussi divertissant que profond, est spécialiste des langues et cultures iraniennes préislamiques. Née dans une famille d’érudits,  Nahal Tajadod est venue en France à l’âge de 17 ans au moment de la révolution des ayatollahs. Elle est l’auteur d’une thèse sur Mani, le Bouddha de lumière qui fut fondateur de la pensée manichéiste.

Passionnée de la poésie de son pays, Nahal Tajadod a aussi fait connaître en France la poésie de Roumi, le poète mystique persan auquel elle a consacré une biographie de référence intitulé Roumi le Brûlé (Lattès, 2004). Après trois romans qui racontent la vie dans l’Iran moderne, l’univers kafkaïesque de l'administration iranienne et la soif de la modernité des jeunes, elle aborde pour la première fois dans son nouveau livre le récit de la diaspora iranienne. Son titre est tiré d’un texte de la poétesse contemporaine, Forough Farrokhzad. La romancière Tajadod aime rappeler que « les poètes sont des best-sellers en Iran » et qu'encore aujourd'hui les Iraniens, jeunes et vieux, récitent de mémoire les vers de Roumi, Hafez, Saadi et Khayyam, comme le font d’ailleurs les personnages de ses romans. Pour le plus grand bonheur des lecteurs conquis d'avance par la magie de la poésie persane.

Les simples prétextes du bonheur, par Nahal Tajadod. JC Lattès, 400 pages, 20 euros.

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