Ecologiste, il se battait pour la défense des droits de son peuple, les Ogonis, une petite ethnie du delta du Niger, victime de la pollution massive provoquée par l'exploitation pétrolière. Non seulement les Ogonis n'ont pas profité des richesses pétrolières, mais ils ne peuvent plus se livrer à l'activité qui les faisait vivre : la pêche. Ils vivent dans l'une des zones les plus poissonneuses d'Afrique. Leur mangrove est aussi l'une des plus riches en pétrole du continent. C'est dans cette région que l'exploitation pétrolière a commencé au Nigeria à la fin des années cinquante.
Célèbre écrivain,Ken Saro-Wiwa est rapidement devenu le porte-parole de son peuple. Outre ses livres, romans et recueils de nouvelles, ce producteur, réalisateur et scénariste s'était fait connaître du grand public en réalisant Basye and co, des feuilletons télévisés à grand succès.
Dictateur particulièrement féroce, Sani Abacha n'a pas accepté que Ken Saro-Wiwa lui apporte publiquement la contradiction. Il l'a d'abord fait arrêter et juger dans une parodie de procès. Une très forte mobilisation internationale n'est pas parvenue à sauver le militant des droits humains. Sani Abacha voulait faire un exemple et il était persuadé qu'en agissant avec une telle brutalité il ferait taire à jamais les opposants, les militants des droits de l'homme et les écologistes.
Un symbole pour les luttes écologistes
Il a obtenu le résultat contraire. Le Nigeria a été mis au ban de la communauté internationale. Il a été suspendu du Commonwealth. Shell, la multinationale mise en cause par Ken Saro-Wiwa, a subi une campagne virulente. Des appels au boycott ont été lancés notamment en Allemagne. Dans ce pays, des militants des droits de l'homme accusant Shell de n'avoir rien fait pour sauver la vie de Ken Saro-Wiva ont installé des cordes de pendu dans les stations en guise de protestation.
Shell et le régime de Sani Abacha avaient sans doute sous-estimé l'impact de cette exécution. Ken Saro-Wiwa est désormais perçu comme l'un des premiers militants écologistes à avoir perdu la vie pour défendre ses convictions. Même s'il est sans doute beaucoup plus que cela : cet écrivain ogoni défendait aussi le droit des minorités à profiter du développement et des richesses produites sur leur sol. Son combat était éminemment politique.
Sabotages
Au Nigeria, traditionnellement les dividendes de l'or noir étaient en grande partie accaparés par le régime fédéral et les hauts-gradés de l'armée. Des forces armées longtemps dominées par les Nordistes. Comme leur région est dépourvue de richesses naturelles, les Nordistes n'ont aucun intérêt à se dessaisir du pouvoir politique qui leur permet d'accéder à une partie des richesses produites au Sud.
Mais il serait trop facile d'accuser l'Etat fédéral et les compagnies pétrolières de tous les maux. Une grande partie de la pollution du delta du Niger est due aux sabotages opérés par les populations locales. Elles se sentent d'autant plus habilitées à y procéder qu'elles ne tirent pas de bénéfices réels de l'extraction pétrolière. Combien de villages installés à quelques mètres d'exploitation pétrolières qui produisent des milliards de dollars sont dépourvus de tout ? Ni eau, ni électricité, ni école, ni dispensaire. Seulement des mangroves gorgées de pétrole et de poissons devenus cancérigènes.
Face à ce constat accablant, les compagnies pétrolières se défendent en rappelant qu'elles versent des sommes considérables à l'Etat fédéral et à des chefs locaux. « Ce n'est pas notre faute, ni notre responsabilité s'ils ne redistribuent pas l'argent » explique le représentant d'une compagnie pétrolière dans la région du Delta.
Rébellions du sud
Quoi qu'il en soit, plus de vingt ans après l'assassinat de Ken Saro-Wiwa, la situation ne s'est guère améliorée. Le président Goodluck Jonathan (au pouvoir jusqu'en mai 2015) avait acheté la paix sociale. Il avait offert des rentes à de puissants chefs de milices locales pour les inciter à déposer les armes ou du moins à ne pas s'en servir trop souvent. Goodluck Jonathan, premier chef d'Etat issu de la région du delta avait de puissants relais dans la région. Il appartient à l'ethnie Ijaw, la plus importante ethnie du delta.
Son successeur Muhammadu Buhari ne possède pas les mêmes affinités avec la région. Peul, originaire du nord du Nigeria, Muhammadu Buhari a opté pour la fermeté avec les militants du delta. Il est revenu sur nombre de sinécures dont bénéficiaient les chefs des militants. Ceux-ci n'ont pas tardé à répliquer. De mystérieux « Delta Avengers », des vengeurs du Delta surarmés et adeptes des mises en scène hollywoodiennes, ont réussi à porter de rudes coups à la production d'importantes compagnies, notamment Shell. Désormais, le Nigeria produit moins de deux millions de barils par jour. Selon la presse nigériane, une partie des élites politiques et économiques du delta soutiendrait en sous-main ces vengeurs du delta.
Le recul du Nigeria
La production de pétrole du Nigeria est tombée à son plus bas niveau en 25 ans. Le pays a perdu en 2016 sa position de premier producteur en Afrique au profit de l'Angola. Il a aussi perdu cette année, son rang de première économie du continent : le pays le plus peuplé d'Afrique s'est fait dépasser par l'Afrique du Sud en terme de PIB.
L'Etat nigérian tire 70 % de ses ressources de la production pétrolière.
Compte tenu de sa dépendance par rapport à l'or noir, le régime de Buhari ne peut se permettre de laisser perdurer une telle situation. Il devra négocier ou choisir la voie des armes. Mais pour l'armée fédérale, il est particulièrement périlleux de se lancer dans un conflit dans la mangrove. Une terre propice à des actions de guérilla. L'option militaire est d'autant plus périlleuse que l'armée a déjà fort à faire au nord avec Boko Haram.
Au fond, la situation de Delta du Niger n'a guère changé depuis l'époque de la mort de Ken Saro Wiwa. Les populations du Delta sont toujours aussi en colère et amères. Les Vengeurs du delta réclament d'ailleurs l'autodétermination de la région et le départ de multinationales.
La grande différence avec la situation de l'époque de Ken Saro-Wiwa, c'est qu'elles sont sans doute beaucoup mieux armées vingt ans plus tard. En fumant sa pipe, Ken Saro-Wiwa jetait un regard ironique sur les hommes et leurs travers. Depuis le ciel, il doit sourire. Un léger sourire ironique qui était l'une de ses marques de fabrique... Le rebelle du Delta doit se dire que son fantôme n'a pas fini de hanter les dirigeants du Nigeria.
► La suite de nos Histoires nigérianes vendredi 28 octobre.