Tous les regards du monde de la mode étaient tournés vers l’Abbaye de Penthemont mardi 27 septembre, lors d’un des événements les plus attendus de la saison. Tous voulaient savoir comment le Belge Anthony Vaccarello, fraîchement nommée à la tête de la maison Saint Laurent, allait relever le défi de prendre la direction artistique d’une des marques françaises les plus iconiques. Sans surprise, le défilé dans le bâtiment historique, futur siège de l’entreprise, a été sexy et teinté des références des années 1980, chères au créateur. Mais aussi avec des clins d’œil à l’héritage d’Yves Saint Laurent, notamment par les smokings, à peine réinterprétés, qui nous rappelaient comment le génie d’Oran a donné le pouvoir aux femmes.
Néanmoins, pendant cette Fashion Week parisienne, le débat sur le pouvoir aux femmes se jouait surtout dans les coulisses, avec leur l’arrivée à la tête de la direction artistique de trois grandes maisons parisiennes. La Française Bouchra Jarrar a ouvert le bal avec son premier défilé aux manettes de Lanvin. Elle avait la difficile tâche de remplacer Alber Elbaz, styliste israélo-américain adoubé par la presse et qui dirigeait depuis quatorze ans la création au sein de la plus ancienne maison de couture française en activité. Pour elle, le but était d’apporter à la marque « l'harmonie et la cohérence d'une mode destinée aux femmes, une mode de notre temps ». Pari réussi pour la créatrice, qui a su présenter le mercredi 28 septembre une collection à la fois désirable et portable.
Cette capacité de faire rêver tout en regardant comment les pièces pourraient être portées dans la vie de tous les jours paraît être une constante chez cette nouvelle génération de créatrices. Souvent, elles « vont travailler plus sur une sensibilité, mais avec plus de pragmatisme, quelque chose plus dédié au marché et moins lié au concept pur », signale Bruno Benedic, consultant en stratégie de mode et enseignant à Esmod/Isem. Une logique que l’on retrouve par exemple avec l’Anglaise Clare Waight Keller chez Chloé, et même dans un autre genre, avec la Française Véronique Nichanian pour les collections masculines chez Hermès.
Chanel et Rykiel sont les exceptions
Mais ces femmes sont plutôt l’exception. Même si l’histoire de la mode a été marquée par des personnalités fortes comme celles de Gabrielle Chanel, Elsa Schiaparelli ou Sonia Rykiel, sans oublier Miuccia Prada ou Donatella Versace en Italie et Vivienne Westwood au Royaume-Uni, actuellement rares sont les géants de la mode dont la création est dirigée par des femmes. De Louis Vuitton à Balenciaga et Chanel, en passant par Burberry ou Armani, le style au sein des grands noms de l’industrie de la mode féminine, surtout dans le luxe, est encore entre les mains des messieurs.
Mais cela semble changer doucement. La preuve, pour la première fois dans son histoire, la maison Christian Dior a une femme aux manettes. L’Italienne Maria Grazia Chiuri, venue de chez Valentino, fait aussi son baptême du feu pendant cette Fashion Week. « Sa vision de la femme, à la fois sensuelle et poétique, entre en résonance avec celle de Monsieur Dior », expliquait le PDG de la marque, Sidney Toledano, lors de son recrutement. A 52 ans, elle remplace le Belge Raf Simons, qui avait « apaisé » la griffe de l’avenue Montaigne après la tempête – créative, mais aussi polémique – qui a représenté le passage de 15 ans de John Galliano par la maison.
Selon Bruno Benedic, l’arrivée de Maria Grazia Chiuri est un signe de changement, mais surtout un « alignement sur les rythmes de direction artistique qui sont déjà adoptés par plusieurs marques moins visibles ». En revanche, souligne l’enseignant, « ce qui surprend dans le cas de Dior, c' est le fait qu’il s’agit d’une maison avec un fort historique et une visibilité internationale ».
Plafond de verre aussi dans la mode
Au-delà de Dior et Lanvin, d’autres exemples montrent que les choses bougent. C’est le cas chez Léonard où la Franco-Cambodgienne Christine Phung présente aussi son premier défilé comme directrice artistique cette semaine. Formée en design par l’école Duperré, mais aussi à la finance et au marketing par l’Institut Français de la Mode, elle fait partie de cette vague de créateurs qui ont lancé leur propre marque très tôt et qui ont compris l’importance d’être pragmatique sans oublier le rêve.
Tous ces changements doivent inspirer la nouvelle génération de créatrices, reléguées parfois au second plan. Même si elles sont plus nombreuses que les garçons dans les écoles de mode et design, ainsi qu’au sein de plusieurs studios de création, les jeunes femmes ont parfois du mal à arriver au sommet des marques, ce qui montre que le plafond de verre existe aussi dans la mode. D’ailleurs, même si cette barrière invisible commence à être brisée au niveau de la création, au niveau du management « les directions exécutives restent encore l’apanage d’hommes dans les maisons de couture », comme nous le rappelle Bruno Benedic.