[Chronique] A Lagos, les espaces verts victimes de la folie immobilière

Aucun jardin à l'horizon. L'une des premières choses qui frappent le nouveau venu à Lagos, c'est l'absence cruelle d'espaces verts. La comparaison avec d'autres grandes villes du continent n'est pas à l'avantage de Lagos. Dans cette mégalopole surpeuplée, les jardins publics comme l'environnement sont tout sauf une priorité. 

A Dakar, les espaces verts sont omniprésents. Le parc de Hann situé en plein cœur de la ville constitue un poumon vert pour la capitale sénégalaise. Ce parc public et gratuit abrite un zoo, dont l'entrée est fort modique, à peine quelques dizaines de centimes d'euros. Abidjan est également une ville verte. Tout comme Accra, Porto Novo ou Yaoundé. Mais à Lagos il est difficile de voir des jeunes jouer au football dans les rues. Non pas que la passion du ballon rond y soit moins grande qu'ailleurs. Le FC Barcelone vient d'ailleurs d'ouvrir un centre de formation à Lagos. Le problème, c'est que les parcs et les espaces publics manquent cruellement.

Ils étaient déjà peu nombreux à l'indépendance acquise en 1960. Mais leur nombre s'est encore raréfié ces dernières années. Il y a vingt ans, des quartiers résidentiels de Lagos, tels que Ikoyi ou Victoria Island, étaient encore verdoyants. Ikoyi était le lieu de vie des colonisateurs britanniques. Les maisons coloniales possédaient de superbes jardins. Ils ont presque tous été rasés. En lieu et place, des flamboyants, frangipaniers et autres bougainvilliers s'élèvent désormais des blocs de béton et de verre.

Park view, le plus grand espace vert du quartier d'Ikoyi, a été rasé pour laisser place à des immeubles hors de prix. Des appartements se vendent cinq à dix millions de dollars à Lagos. A ce prix, la notion de qualité de vie a vite été balayée au profit de celle d'investissements lucratifs. La frénésie immobilière est telle que nombre de ces nouveaux immeubles sont vides. Mais les promoteurs préfèrent continuer à construire malgré tout. Ils se disent que sur le long terme, ils feront malgré tout des affaires juteuses et ils ont sans doute raison. La ville compte vingt millions d'habitants et elle ne cesse de grandir.

Des projets pharaoniques continuent de voir le jour. Après Banana Island, une résidence fermée avec des appartements à dix millions de dollars, une ville nouvelle est en train de voir le jour le long de la lagune : l'Eko Atlantic (Eko étant le nom yorouba de Lagos).

Ce projet de ville nouvelle coûte plusieurs dizaines de milliards de dollars. Les travaux ont commencé par la construction d'un barrage de quatre kilomètres pour protéger la ville des vagues de l'Atlantique. Cette ville nouvelle réservée aux riches devrait accueillir plus de 100 000 personnes. Un projet inauguré en grande pompe par Bill Clinton. Les premiers immeubles de l'Eko Atlantic ont déjà vu le jour récemment : ils devraient être habités avant la fin de l'année.

Les rares espaces verts encore présents dans la ville sont réservés à une minorité. Les membres du Ikoyi club, du Yatch club, du Boat Club, du club américain, du club anglais ou du Polo club. Pour faire partie des plus chics de ces clubs, il faut débourser des dizaines de milliers de dollars. Le gouverneur de Lagos a bien décidé de créer quelques espaces verts. Mais ils sont grillagés et interdits... au public, de peur que des habitants de la ville s'y installent à demeure. La pression immobilière est telle que les Lagotiens sont prêts à tout pour posséder un lopin de terre.

Faire de l'argent, pas des jardins

En l'absence d'espace vert, nombre d'expatriés préfèrent scolariser leurs enfants dans leur pays d'origine ou même à Dakar ou Cotonou. Quand on fait remarquer à des Lagotiens que cette absence d'espace vert est regrettable, certains d'entre eux n'acceptent pas la critique. « Les pays francophones ont des espaces verts parce qu'ils pensent à leur divertissement. Mais nous, nous sommes focalisés sur le fait de faire de l'argent. Nous sommes trop occupés à travailler pour nous intéresser à ce genre de question », explique une jeune et brillante diplômée de l'université qui travaille dans le privé ; elle a vécu une partie de son enfance en Occident où elle a joui des parcs.

Si on lui fait remarquer que Londres et New York possèdent de superbes espaces et que cela n'empêche pas les habitants de ces villes de faire de l'argent et d'être productifs, l'argument ne porte guère. Si on lui fait remarquer qu'un certain nombre de riches Nigérians et d'expatriés préfèrent scolariser leurs enfants hors de Lagos et que cela constitue un vrai manque à gagner pour la ville, elle n'est guère impressionnée.

A l'image de nombre de ses compatriotes, elle ne se battra pas pour défendre les espaces verts, bien au contraire. Les préoccupations écologiques et environnementales sont d'ailleurs très peu présentes au Nigeria. Qui se bat pour préserver les flamboyants, les manguiers ou les frangipaniers de Lagos ? A peu près personne. Qui se bat pour que les groupes électrogènes et les voitures soient moins polluants ? Encore moins de monde.

Le jour où les Lagotiens auront des espaces pour jouer au football est encore loin. Le ballon rond, pour l'instant, s'observe à la télévision. Ou sur des écrans géants où sont retransmis les matchs de football des championnats européens. Contrairement à ce qui se passe sur le reste du continent, à Lagos, le ballon rond, malgré l'amour qu'il inspire, est devenu un nouveau type de sport. Sur la lagune, le ballon rond est devenu un art virtuel.

► La suite de nos chroniques nigérianes est à retrouver dès la semaine prochaine.

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