[Chronique] Au Nigeria, un goût certain pour les tapis rouges

A Lagos, il ne se passe pas une soirée sans cérémonies avec tapis rouges. Que ce soit pour fêter l'anniversaire d'un grand de ce monde ou l'avant-première d'un film, ou d'une exposition, le tapis rouge est le must absolu. L'objectif étant pour les people et les belles de la ville de se faire prendre en photo dans leurs plus beaux atours. Quelques secondes plus tard, les clichés vont faire leur apparition sur les réseaux sociaux : Instagram, Facebook, Twitter and co.

Sur le tapis rouge, tout le monde semble au bord du Nirvana. Le reste, à savoir la projection du film ou l'exposition, ou l'anniversaire intéressent déjà beaucoup moins. Sur le millier de personnes aperçues sur ledit tapis, peut-être une centaine se retrouvera dans la salle de projection ou la salle de réception. Les « happy few » qui continueront la soirée se verront remettre des bracelets selon leur degré d'importance supposée : ils seront noir, rouge ou or.

Tout le monde ne possède pas le précieux sésame qui permet d'accéder au saint des saints. Mais bien des people considèrent que le job est fait dès lors qu'ils ont été photographiés sur le tapis rouge.

Pour que celui-ci soit « glam » à souhait, il faut que des jeunes femmes perchées sur d'immenses talons interviewent les people en prenant un air extatique à chaque fois qu'ils disent une banalité. Des centaines de photographes doivent se précipiter sur le premier quidam venu. Les photos se vendent au prix fort pour qui veut avoir son quart d'heure de gloire.

L'alcool coule à flots. Champagne à gogo. La cérémonie coûte cher, très cher. La location des salles du grand hôtel où elle se déroule revient facilement à plus de 50 000 euros pour quelques heures de mondanités. Parfois, la cérémonie coûte plus cher que le film pour lequel elle constitue une avant-première. Mais personne ne semble s'en offusquer ou s'en étonner. L'avant-première étant le chef-d'œuvre auquel tout le monde est venu assister. A Lagos, on aime faire la fête. Avec classe et débauche d'argent.

A côté du tapis rouge, d'autres accessoires s'imposent avec force de loi, tel que le sofa, rouge lui aussi. Les starlettes « glams » et « swags » y font des effets de paupières, de perruques et de cils, tout en prenant soin de montrer le galbe de leur jambe et l'échancrure de leurs décolletés aux caméras.

« Sofawood »

Ce goût immodéré pour les sofas se retrouve également dans les films de Nollywood, rebaptisés par certains mauvais esprits « sofawood ». Dans ces fictions, le canapé est un accessoire essentiel où se passe une grande partie de l'action - ou de l'inaction - des films nollywoodiens.

Le goût pour les tapis rouges est tel que bien des films ont droit à des dizaines d'avant-premières au Nigeria : dans des villes différentes, mais aussi dans la même cité. Occasion est ainsi donnée de sortir et de montrer des habits chers et aussi d'organiser des dîners très onéreux financés par les nantis du pays.

Bien sûr, les Nigérians ne sont pas les seuls à aimer les tapis rouges. Il suffit de se rendre à Cannes sur la Croisette pendant le festival pour s'en rendre compte. Mais en Afrique, le Lagotien - et surtout la Lagotienne - détient la palme : il possède sans doute une longueur d'avance sur la concurrence.

Les hôtels de Lagos en savent quelque chose : ils ont fait fortune grâce à cette « tapis rouge mania » qui ne se dément pas.

Les autres Africains non plus, d'ailleurs, ne s'y sont pas trompés. C'est à Lagos que les Sud-Africains de DSTV (groupe médiatique le plus puissant d'Afrique) organisent chaque année les Africa Magics Award. Une débauche - que dis-je une orgie - de tapis rouges, de costumes noirs et de nœud papillon avec des acteurs et des people venus de toute l'Afrique anglophone et du reste du monde.

Les VIP et les people se cajolent sur l'épaisse moquette rouge. Elle est trop épaisse pour ne pas amortir les chutes et son contact doit rassurer plus d'un acteur qui sait à quel point les carrières sont fragiles. La passion des tapis rouges va de pair avec celle des prix et des récompenses. « Au Nigeria, nous adorons la compétition. Il faut des prix toujours des prix », note un cinéaste nigérian. Le Nigeria compte des dizaines et des dizaines de festivals qui remettent des centaines de prix. Il y en a pour tous : les auteurs de films en yorouba, en ibo, en haoussa, en anglais etc...Que la cérémonie dure des heures ne gêne personne, bien au contraire.

Il en va de même pour les cérémonies consacrées à la musique. Même la littérature est « swag » au Nigeria. Les finalistes du prix littéraire Etilasat sont accueillis sur scène comme des rocks stars. Des « masters of ceremony » sexy font monter la tension. La tenue des écrivains est glam. Il faut qu'ils « assurent » parce que juste après eux, sur scène vont se retrouver des stars du calibre de Youssou Ndour, Asha ou Angélique Kidjo.

Les anniversaires des médias ou des politiciens sont aussi d'impressionnants shows où le tapis rouge est toujours fidèle à l'appel. A cela s'ajoutent des projections de films publicitaires à la gloire du grand homme ou de la grande femme que l'on fête.

Que l'on aime ou pas cette culture de la frime, il faut bien reconnaître que les Nigérians ont un certain sens de la mise en scène et du panache. Le spectacle un rien baroque en vaut la peine. Les people, vrai ou faux, peu importe, semblent heureux d'être là, une coupe de champagne à la main dans un tourbillon frénétique d'images, de son et de froufrou glam. Même pour les plus blasés et les moins fêtards, il faut bien reconnaître qu'il est rare de s'ennuyer sur leur tapis rouge version tropicale.

► La suite de nos chroniques nigérianes est à retrouver dès la semaine prochaine.

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