[Chronique] A Lagos, on ne prête qu’aux riches

Lagos est sans doute l’une des capitales africaines qui comptent le plus grand nombre de banques au mètre carré. Alors même que les banques nigérianes sont loin d’être de prime abord les endroits les plus accueillants qui soient. Les attaques de banque étant fréquentes, même en plein jour. Les services d'ordre sont sur les dents et les kalachnikovs restent à portée de main.

Avant de passer le sas permettant d’entrer dans la banque, il faut passer devant des hommes en armes. A l’intérieur de la banque, les visages sont fréquemment fermés, concentrés à l’extrême. Ici le client n’est pas roi. Les taux pratiqués feraient frémir la plupart des emprunteurs occidentaux. A Lagos, il est bien rare de pouvoir emprunter à moins de 10%.

Du coup, la grande majorité des acheteurs de biens immobiliers achètent cash. La grande majorité des Nigérians ne possèdent pas de comptes en banque. D’ailleurs, 70% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.

Mais les initiés savent qu’il existe des lieux nettement plus sympathiques au sein de la banque. Ceux où officient les responsables commerciales, les attachées de clientèle. Elles occupent généralement un bureau en open space. La première fois que l’on pénètre dans ce bureau, l’on a un peu le sentiment d'entrer dans une boîte de nuit.

Grandes et plantureuses

Des jeunes femmes, le plus souvent grandes et plantureuses, vérifient leur manucure en tapant frénétiquement sur leur portable afin de relancer les « clients ».

Les jupes sont très courtes, les décolletés profonds, le maquillage très appuyé. Souvent des chaînettes dorées ornent les chevilles fines des demoiselles. Elles occupent une fonction stratégique dans la banque : celle de persuader un « oga » un « patron » ou un « money bag » (un homme riche) de placer son argent dans la banque en question. Le Nigeria compte plus de 20 000 millionnaires en dollars. La grande majorité d’entre eux vivent à Lagos. Une proie de choix pour ces jeunes femmes délurées.

La profession de banquière jouit d’une réputation sulfureuse au Nigeria. Un film intitulé La Banquière est récemment sorti sur les écrans à Lagos. Il raconte l’histoire d’une famille de la bourgeoisie qui vole en éclats le jour où le fils annonce qu’il veut épouser une…banquière. Le père met son veto. Au motif que selon lui toutes les banquières sont des prostituées. Le fils est très amoureux de la belle banquière, il prétend que l’élue de son cœur est bien différente de ses collègues. Il affirme d’ailleurs que sa compagne est sur le point de se faire licencier parce qu’elle ne couche pas avec les clients et que donc elle ne ramène pas de nouveaux comptes à son établissement bancaire. Mais le père du jeune homme ne se laisse pas convaincre par ces arguments.

A la demande insistante de la famille qui souhaite une réconciliation, le père accepte sans illusion d’organiser des tests, des épreuves. De riches amis de la famille vont se faire passer pour des investisseurs potentiels. La jeune femme résiste aux avances. Pour la récompenser de sa fidélité, les amis de la famille ouvrent tout de même des comptes. Du coup, la belle banquière conserve son poste. Et elle épouse l’élu de son cœur.

Payer pour avoir un rôle

Une histoire et un happy end qui a « parlé au public nigérian ». Le thème des jeunes femmes obligées de coucher pour obtenir un emploi est récurrent dans l’imaginaire collectif nigérian. Il est également évoqué dans les nouvelles de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie (notamment Autour de ton cou, Gallimard). A Nollywood, les actrices se plaignent d’être obligées de coucher avec les réalisateurs pour obtenir des rôles de premier plan. Ce qui n’est sans doute pas propre au Nigeria. Mais ce qui l’est davantage c’est qu’elles doivent aussi ouvrir leur portefeuille pour... jouer. « La plupart du temps, les réalisateurs ne nous paient pas pour jouer dans les films. Nous devons même payer pour être à l’affiche. Il faut alors que l’argent soit donné par un sugar daddy », avoue l'une d'elles. « Loin des salaires mirobolants évoqués par la presse people, la réalité est souvent beaucoup plus sordide. »

Au Nigeria, il n’est pas rare que l'employé verse ses premiers mois de salaire à celui qui lui a permis d’obtenir le job. De même, les producteurs d’émission de télévision ou de radio ne sont pas rétribués. Ils payent le média pour du temps d’antenne. S’ils trouvent un sponsor, ils doivent se partager les gains avec celui qui « offre » le temps d’antenne. Ce curieux système tout à l’avantage des dirigeants de médias est sans doute l’une des causes de la prolifération des télévisions et des radios. Le patron explique qu’il permet à son présentateur ou à son journaliste de se faire connaître, de se faire un nom. Il trouve donc normal de le faire payer pour lui donner l'opportunité de travailler.

Il en va de même avec nombre de réalisateurs de cinéma. Ils organisent des dîners réunissant leurs actrices phares et des hommes riches et puissants qui souhaitent mieux les connaître. S’ils font affaire, le réalisateur touchera sa commission. En a-t-il été de même pour l’actrice principale du film La Banquière ? Cette vérité ne sera jamais révélée. Le public nigérian adore les happy end. Le cinéma est l’un des derniers havres de paix dans cette société de capitalisme féroce. Et puis, de New York à Londres en passant par Lagos, les happy end restent tout de même beaucoup plus rentables. A Lagos aussi, ils demeurent bien plus « bankables ».

► La prochaine chronique, vendredi 19 août.

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