En pleine guerre, la vie vaille que vaille à Damas

Alors que la guerre fait rage en Syrie depuis plus de cinq ans, que près de 300 000 personnes y ont trouvé la mort et qu’une grande partie du pays est détruite, la capitale Damas continue de vivre tant bien que mal. Si beaucoup de choses du quotidien ont changé, les habitants, souvent attachés à leur ville, l'une des plus anciennes de l'humanité, résistent et entendent bien rester chez eux.

Le 25 juillet dernier, une voiture piégée a explosé dans le quartier moderne et huppé de Kafar Soussé à Damas. Si durant les trois premières années de la guerre (2011-2013) plusieurs attentats ont frappé la ville, depuis 2014, ils sont pourtant devenus rares. Et depuis quelques mois, les obus s’écrasent moins souvent sur les trottoirs, dans les jardins publics damascènes où sur les terrasses des immeubles. La ville est calme pour ceux qui sont restés dans la capitale, tout au moins en apparence, car la guerre se joue juste à côté.

Une génération manquante

Pourtant, depuis 2011, Damas se vide peu à peu de ses 2,5 millions d’habitants originels, et principalement de sa jeunesse masculine qui craint d’être recrutée ou tout simplement arrêtée par les autorités du régime pour partir au service militaire. C’est une partie d’une génération qui a fui le pays.

« Il reste les vieux ! (…) Maintenant, les mamans se lamentent, car elles ne trouvent plus de prétendants pour marier leurs filles, ils sont tous partis ! », s’amuse Ahwa*, 66 ans. « Mais si mes enfants voulaient revenir, je refuserais ! » Damascène d’origine, Ahwa est venue rendre visite à certains de ses enfants en France. Cette Syrienne aux yeux pétillants de vie pourrait rester dans l’Hexagone. Une possibilité qu’elle balaie rapidement d’un revers de main. « Mon chez moi, c’est Damas (…) et j’ai hâte d’y retourner à la fin du mois. J’ai aussi des amis qui vivaient entre Malte et les Etats-Unis depuis quelque temps, mais ils en ont eu marre, alors ils sont revenus chez eux à Damas », confie-t-elle alors que ses enfants la supplient de quitter la Syrie. « On vit dans la peur, mais la vie continue. On est tellement fatalistes. »

Le quotidien de cette Damascène très enjouée ne change pas vraiment depuis cinq ans. Elle continue de mener son petit bonhomme de chemin, même si elle se cantonne la plupart du temps à rester dans son quartier et, surtout, à ne jamais quitter Damas intramuros, trop dangereux. Parce que Damas est assiégée et que les check-points qui se comptent par centaines sont disséminés partout dans la ville, les gens qui n’ont pas leur propre véhicule préfèrent marcher pour ne pas passer un temps fou avec les soldats du régime qui fouillent de fond en comble tout autant les taxis que leurs passagers.

Ce qui a changé, c’est que la peur étant permanente, les visites chez les amis se sont transformées en appels téléphoniques. Les habitants s'habituent à la guerre mais y pensent en permanence. « On prend un café en terrasse tous les deux mois par exemple », déplore Ahwa qui note que les cafés à narguilés font toujours le plein à Damas, mais principalement avec des personnes âgées. Depuis peu, puisque la situation n’évolue pas, les gens recommencent à sortir, « ils en ont marre de ne pas bouger », d’autant que la guerre, ils ne la sentent pas à son paroxysme.

Ne pas céder au désespoir

Alors dans certaines rues, les restaurants et les discothèques retrouvent tant bien que mal une certaine joie de vivre tandis qu'à quelques encablures, des blocs de béton et des sacs de sable font barrage. Et les jeunes Damascènes qui ont les moyens postent sur Facebook des photos de leurs soirées très arrosées dans les quelques boîtes de nuit encore ouvertes, semblables à toutes les fêtes dans un pays qui ne serait pas en guerre. Comme Yasar* qui jamais ne quittera sa ville, quoi qu’il arrive, et qui se bat pour vivre et s’amuser comme il se doit.

Pourtant, l’inquiétude est le lot quotidien des Damascènes depuis cinq ans. Tous ont des proches qui ont disparu. Le fantôme de la guerre est dans toutes les têtes. Alors, ils se battent pour « ne pas tomber dans la déprime ». En effet, la vie est devenue extrêmement chère et tous ont du mal à subvenir à leurs besoins sanitaires et alimentaires : le kilo de viande d’agneau est par exemple passé de 500 à 6 500 livres syriennes (de 2 à 27 euros). Se rendre chez le plus célèbre des chocolatiers du Moyen-Orient devient un plaisir rarissime. Chez Ghraoui, dont l’enseigne centenaire fournissait jusqu’aux tables de la reine Elisabeth II à Buckingham Palace et remplissait les étals de Fauchon et Hédiard à Paris, le prix du kilo de confiseries a été multiplié par dix.

La ville s’appauvrit donc, mais les habitants font face et restent solidaires, quelle que soit leur appartenance communautaire, comme cela a toujours été le cas en Syrie. Fin 2015, plus de 6,5 millions de Syriens étaient des déplacés internes selon le HCR.

Damas, l’exception syrienne ?

Les banlieues de la capitale, en proie aux bombardements permanents, sont quant à elles à feu et à sang. La famine est omniprésente à Daraya par exemple, à seulement une dizaine de kilomètres de Damas. Alors ceux qui ne sont pas morts tentent de se réfugier au cœur de la capitale. Des associations d’entraide ont été créées pour venir en aide aux plus démunis, condamnés, pour ceux qui n’ont ni moyens ni famille dans la capitale syrienne, à errer sur les trottoirs de Damas.

Aujourd’hui, le loyer d’un appartement deux pièces dans le quartier populaire de Mouhajirin aux pieds du mont Qassioun atteint parfois 50 000 livres, voire 100 000 livres syriennes (environ 400 euros, sachant que le salaire moyen avant la guerre était de 200 euros). « L’aide internationale hélas part bien souvent dans une autre direction que celle prévue », plaisante Ahwa.

Damas intramuros donne ainsi l’impression d’être un microcosme de relative paix dans un pays en guerre absolue. Et les habitants sont conscients du privilège qu’ils ont, même si tout peut arriver à tout moment, parce qu'ils savent ce qui se passe à l’extérieur de la ville. Car si les coupures d’électricité sont légion, les radios et télévisions nationales comme internationales diffusent les informations et aucun Damascène n’est dupe de ce qu’il se passe en dehors de la ville, même si personne n’en parle ouvertement.

Ainsi, ce qui perdure également en Syrie, c’est bien la chape de plomb qui pèse sur les Syriens quand il s’agit de parler du régime. La suspicion faisant partie du quotidien de la population depuis des lustres, évoquer la situation politique du pays ou même prononcer le nom Assad en dehors d’un cercle très restreint est absolument tabou et peut vous plonger dans une très mauvaise situation. L’ombre des moukhabarat -les services de renseignement- plane sur la tête de chaque Syrien depuis près d’un demi-siècle. Aujourd’hui, les habitants se gardent bien de dire s’ils soutiennent ou non le régime.

Optimiste dans l’âme, Ahwa laisse entendre que malgré tout, les moments de joie sont rares. Grâce à la foi, elle tient bon, rigole-t-elle. N’a-t-elle pas d’ailleurs eu Dieu à ses côtés le jour où, alors que des obus pleuvaient sur son quartier, elle s’est dit qu’elle allait sortir sur sa terrasse regarder le ciel puis s’est résolue plutôt à fermer les volets quelques minutes avant qu’un obus tombe et fasse voler les vitres en éclats ?

« Malgré la crise, c’est mon pays, je l’aime, c’est mon chez-moi, c’est mes amis, mes voisins, c’est tout. » Si rien ne sera plus comme autrefois dans la capitale syrienne, à Damas, comme avant la guerre, il y a des instants de bonheur qui perdurent. Celui de se réveiller en entendant sur les ondes les chansons de la diva Fairuz en fait partie.

*Les prénoms ont été changés

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