Bolivie: bras de fer entre le gouvernement et les handicapés

Des centaines de personnes souffrant de handicap ont installé un campement à La Paz et réclament une pension mensuelle au gouvernement bolivien.

La « caravane » est arrivée lundi 25 avril, après plus de 300 kilomètres d’efforts. Rassemblée à El Alto, la ville surplombant La Paz, la foule a attendu l’arrivée des « héros » de la caravane : une centaine de personnes, souffrant de différents types de handicaps, qui étaient parties le 21 mars dernier depuis Cochabamba, dans le centre de la Bolivie.

En 35 jours, elles ont parcouru 330 kilomètres dans des conditions extrêmement précaires, bravant la rudesse du climat des hauts plateaux de la cordillère des Andes et les 4 000 mètres d’altitude. Plusieurs participants, à la santé fragile, ont d’ailleurs du être évacués par précaution sanitaire, avant d’arriver au bout.

L’objectif prioritaire de ce parcours extrêmement éprouvant : obtenir la création d'une pension mensuelle de 65 euros destinée à toute personne souffrant de handicap. Aujourd'hui, en Bolivie, seule une pension annuelle de 130 euros est versée, et ce, uniquement aux personnes souffrant de « handicap sévère et très sévère ».

Paraplégique depuis trente-quatre ans suite à un accident de la route, Samuel Cabrera est le président de la fédération régionale de Santa Cruz des personnes souffrant de handicap. Malgré les risques encourus, il a décidé de participer à la caravane dès le début du chemin : « c’est un sacrifice très dur, il ne faut pas oublier non plus que nous sommes pour la plupart malades et que nous devons prendre des médicaments quotidiennement. Mais nous nous sommes sentis obligés de faire cette caravane, car nous nous sentons complètement oubliés et discriminés par notre gouvernement. De plus, nous avons constaté que de nombreux autres secteurs sociaux ont bénéficié d’aides en augmentation, contrairement à nous ». Samuel dénonce également l’accueil réservé à la caravane lors de certaines étapes : « déjà, nous avons dû affronter les intempéries. Mais nous avons aussi du affronter le rejet de certaines populations qui nous ont refusé le gîte et le couvert ».

Une attitude qui, pour les membres de la caravane, est la conséquence d’« instructions de la part du gouvernement ». Ce dernier a, en effet, dès le lancement de la protestation, qualifié celle-ci de « mouvement politisé  ». Et il a très clairement fait comprendre qu’il n’accèderait pas à la revendication principale des personnes souffrant de handicap : « cela représenterait une augmentation de 1 300 % du budget alloué au secteur », a ainsi déclaré la ministre bolivienne de la Santé, Ariana Campero, « ce n’est tout simplement pas possible ».

Le ministre de l’Economie, Luis Arce, a renchéri, assurant que cela mettrait en péril l’économie nationale : « dire oui à cette pension démesurée, c’est porter préjudice au Trésor Général, c’est porter préjudice aux revenus de tous les Boliviens. En conséquence, il n’y aura pas de telle pension ».

Handicapé, vivant à La Paz, Oscar Rodriguez a rejoint la caravane pour les derniers kilomètres. Il estime au contraire que cette nouvelle pension ne suffirait même pas à couvrir les nécessités basiques des personnes vivant avec un handicap. « En réalité, nous considérons que 65 euros mensuels, c’est très peu, affirme-t-il. Moi, j’utilise six couches par jour. Et par mois, cela me coûte déjà plus de 300 euros. Nous voudrions que ce gouvernement soit plus sensible à notre situation. »

Au-delà de la pension, les membres de la caravane dénoncent aussi les discriminations dans le domaine de la santé, de l’éducation et du travail, ainsi que le manque général d’infrastructures adaptées. « En Bolivie, nous n’avons pas encore vaincu les barrières architecturales, explique Moises Choque, président de la fédération régionale de Tarija des personnes souffrant de handicap, le gouvernement parle du « Vivre Bien », mais nous, nous ne vivons pas bien ». Il rejette également les accusations du gouvernement d’avoir « politisé la cause » : « c’est indigne de dire ça. La personne souffrant de handicap n’a pas de couleur politique. Elle s’endort avec son handicap, et elle se réveille avec son handicap. Voilà le message que l’on veut faire passer au gouvernement ».

Après la terrible épreuve de la route, a commencé le bras de fer avec le gouvernement, alors que la caravane a été chaleureusement accueillie par la population de La Paz qui, en signe de solidarité, a fourni une généreuse aide matérielle, alimentaire et médicale. Les protestataires ont installé un campement en plein centre-ville et ont assuré qu’ils ne quitteraient pas la cité avant d’avoir eu gain de cause.

Mercredi, ils ont manifesté autour de la place Murillo, où se trouve le palais présidentiel. Les voies d’accès à la place avaient été grillagées, « pour éviter les agressions entre les handicapés et les policiers » d’après le ministre bolivien de l’Intérieur, Carlos Romero. La manifestation a été réprimée sans ménagement par les forces de l’ordre, qui n’ont pas hésité à faire usage de gaz lacrymogènes. « Un simple petit jet d’agent chimique », a précisé le gouvernement.

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