Après douze ans de bons et loyaux services, Nasser Mahmoud a mis la clé sous la porte. Pourtant, son travail à l’usine de pop-corn de la ville, il l’aimait. « Tout se passait très bien dans mon travail, c’était parfait, regrette-t-il, mais je ne pouvais plus supporter de rester au Pakistan dans ces conditions. » Ces conditions, ce sont les violences, les pressions constantes et le racket qu’il subissait de la part de petits groupes armés, de milices : « On m’a beaucoup menacé, on a pris mon argent alors que je travaillais tellement dur pour le gagner ».
Pour leur échapper, Nasser quitte alors Karachi pour son village natal. Mais une fois de retour, impossible de retrouver un emploi. « Après douze ans en ville, j’ai réalisé qu’il n’y avait plus d’autre option pour moi, alors j’ai décidé de venir en Europe. »
Déterminé et prêt à tout pour réussir, il envisage de se rendre en Allemagne pour aider sa petite sœur et son petit frère. « Je suis prêt à travailler dur, ce n’est pas un problème, j’en suis parfaitement capable, surtout pour eux », affirme-t-il, confiant. Pourtant, la route risque d’être longue et compliquée. Le 19 mars dernier, au lendemain de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, Nasser a fait partie des premiers demandeurs pakistanais à s’être enregistrés à Moria. Il lui reste deux semaines pour demander l’asile ou trouver un moyen de continuer sur la route vers l’Europe de l’Ouest. « J’ai entendu dire que c’était plus facile de trouver un travail en Allemagne, mais on verra où Allah m’emmènera », conclut-il en souriant.
Daniel Sotra, fervent chrétien en pays musulman
A 23 ans, Daniel Emmanouel Masseed Sotra en paraît dix de plus avec moustache bien taillée et sa barbe de trois jours. Son attitude contraste avec celles des autres. Beaucoup plus méfiant, il évite les questions et fuit les photos quand les autres se pressent contre les bénévoles aux cheveux clairs. La seule qui trouve grâce à ses yeux, c’est Eve, « une chrétienne très gentille, qui connaît plein de choses sur la Bible », explique le jeune homme dans un anglais approximatif.
Sa foi, sa religion, c’est ce qui a poussé Daniel a quitter son pays. « J’ai toujours voulu vivre dans un endroit où je pourrais vivre ma chrétienté librement, confie-t-il, car être chrétien au Pakistan, c’est pas facile ». Dimanche 27 mars, en pleine célébration de Pâques, près de 70 personnes ont trouvé la mort à Lahore dans un attentat. Les chrétiens ont été délibérément visés. Et ce n’est pas la première fois que cette minorité (deux millions de personnes sur 180 millions de musulmans) est persécutée au Pakistan. Aujourd’hui, les chrétiens pakistanais ne se sentent pas en sécurité chez eux.
C’est le cas de Daniel Sotra qui admet, à demi-mot, en triturant sa petite croix en bois, « avoir toujours peur ». La plupart des chrétiens pakistanais vivent dans des bidonvilles et sont considérés comme des citoyens de seconde zone. A Wazirabad, sur son lieu de travail, Daniel subissait des brimades quotidiennes, malgré son poste d’ingénieur de ponts et chaussées. « Je suis le seul chrétien et les musulmans me le fond sentir, il me traite comme si j’étais inférieur », déplore-t-il. Aujourd’hui, le jeune homme est à Athènes. Il attend que sa demande d’asile soit examinée.
Jazzi*, porte-voix des chiites persécutés
En Grèce, les migrants pakistanais qui fuient les persécutions religieuses peuvent aussi être chiites. C’est le cas de Jazzi*. A 29 ans, ce journaliste originaire de Karachi se fait le porte-voix de cette minorité. « On est discriminés, persécutés, rejetés [...]. Tous les jours, des cadavres de chiites sont ramassés dans les rues au Pakistan », martèle-t-il. Lui même été victime de persécutions, il raconte, la voix tremblante : « C’était il y a deux ans et demi, trois ans, j’ai été kidnappé par des sunnites. Ils m’ont battu si fort que j’ai cru que j’allais mourir. J’étais couvert de sang […], ils voulaient me forcer à me convertir, mais j’ai résisté, je ne peux pas trahir l’Imam Hussein ».
Pour arriver jusqu’en Grèce, Jazzi* a déboursé 5 000 euros et emprunté le même trajet que les autres. Après quelques jours de détention à Moria, il a été envoyé menotté dans un centre de rétention clos, dans les terres grecques. Aujourd’hui, il est enfermé là-bas avec près de 800 autres Pakistanais désespérés. Ils craignent d’être déportés sans pouvoir demander l’asile. « Il n’y a pas de service d’asile à l’intérieur, mais normalement, en théorie, selon la loi grecque, il doit avoir la possibilité de se signaler à la police, confirme Constance Tyson, du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), mais en pratique ce n’est absolument pas le cas. Ils doivent trouver des avocats qui peuvent venir et assurer l'accès à l’asile. »
En janvier dernier, sur les 1 151 demandes d’asile déposées en Grèce, 45% d’entre elles provenaient de Pakistanais. « La totalité de ces demandes ont été déboutées en première instance », rapporte le HCR. Depuis septembre, il n’y plus de deuxième instance donc de recours possible.
*Le prénom a été modifié