Paraguay: la périlleuse mission des radios communautaires

Les radios communautaires tentent de « démocratiser l’information » en ouvrant l’antenne aux habitants des zones délaissées par les services étatiques et les médias de la capitale au Paraguay. Persécutés, leurs membres exercent cette mission sur un fil : six d’entre eux ont été assassinés depuis 1997. Un panorama bien sombre, alors que le régime totalitaire d’Alfredo Stroessner est tombé en 1989. Mais le Parti Colorado, au service de la dictature du général depuis 1954, contrôle toujours les institutions et la pluralité de l’information reste extrêmement limitée.

Julio Franco, animateur de la radio communautaire Luz Bella Comunicaciones FM, vit sous tension permanente. Depuis le jour où il a publié des informations concernant des actes de déforestation dans une réserve protégée, les responsables du délit arpentent la zone en tirant en l’air avec des gros calibres. Des tirs d’avertissement. Alors, quand Julio trouve sa moto sabotée un soir d’été à la sortie d’une fête, il sent l’embuscade.

Un ami passe vite le prendre en voiture. S’ensuivent une course-poursuite sur une piste en terre rouge et des détonations, de plus en plus proches… Julio et son ami parviennent à se r

éfugier dans le studio de la radio. Trois balles de calibre 12 traversent les murs de la précaire installation. La police, sollicitée, répond qu’elle n’a « pas le temps de venir ». Seuls les tirs de défense d’un voisin ont mis fin à l’angoisse.

Difficulté et dangerosité de la tâche 

Depuis le retour à la démocratie au Paraguay, dix-sept journalistes ont été assassinés, dont six bénévoles des radios communautaires. Le Parti Colorado, au service du général Stroessner pendant les trente-cinq années de dictature (1954-1989), dirige toujours le pays. Trois groupes d’entreprises proches du régime détiennent la quasi-totalité des médias les plus influents. Le groupe Cartes, de l’actuel président de la République, a lui-même acquis 10 médias nationaux sur la seule année 2015. 

Pour Julio Franco, les radios communautaires représentent « les seuls espaces où les sans-voix ont la possibilité de s’exprimer ». Elles émettent depuis les « bañados », des quartiers populaires où vivent les habitants expulsés de la campagne, depuis les communautés paysannes ou indigènes, et servent à divulguer « des informations volontairement oubliées ou manipulées par les médias commerciaux, d’où la difficulté et la dangerosité de la tâche ».

A 26 ans seulement, et malgré l’adversité, Julio Franco ne courbe jamais l’échine, perpétuant la lutte familiale. Ses parents sont des membres fondateurs de Luz Bella et appartiennent à une communauté issue des Ligas Agrarias. Durant la dictature, ces organisations paysannes vivaient indépendamment de l’Etat, en termes d’éducation et de santé ou pour s’alimenter. Les membres de Luz Bella, qui figurent parmi les résistants les plus engagés contre le régime totalitaire, ont systématiquement subi tortures, enlèvements et assassinats.

Famille en détresse

Après avoir travaillé sa parcelle de terre, Julio anime chaque jour le programme d’information de Luz Bella Comunicaciones FM. Totalement bénévole, il essaye de « démocratiser l’information » malgré des conditions extrêmement difficiles. « Parfois, on vient me dire qu’une famille victime d’une exaction a besoin que je l’appelle d’urgence pour un témoignage, mais je n’ai pas de crédit sur mon portable, raconte-t-il. A ce moment-là, je suis obligé de trouver une solution. Je suis le seul à pouvoir leur apporter ce soulagement de pouvoir s’exprimer ».

Depuis déjà deux mois, la radio n’a plus les moyens de régler la facture internet. Alors, ce jour-là, Julio enfourche sa moto et tente de rejoindre la maison d’un ami, propriétaire d’un modem, « en évitant les horaires et les itinéraires routiniers », une précaution prise depuis les tirs essuyés il y a trois ans. Après des kilomètres sur une piste de terre rouge, il espère pouvoir enfin peut-être entrer en contact avec la famille en détresse.

Depuis l’an dernier, la Commission nationale des Télécommunications (Conatel) interdit toute publicité sur les ondes communautaires. « Certaines radios ne peuvent même plus payer la facture d’électricité », déplore Carlos Goncalvez. Depuis son bureau exigu d’Asunción, la capitale, il apporte pourtant une aide technique et administrative à une cinquantaine de radios regroupées au sein de l’association Demoinfo pour la démocratisation de l’information.  Pour cet ancien pionnier de la radio publique créée sous le mandat de Fernando Lugo (seul président non Colorado du pays depuis 1946), « l’Etat veut empêcher toute possibilité de subvention des radios communautaires : une atteinte explicite à la liberté d’expression ».

Les pressions viennent de partout

A 400 kilomètres au nord de la capitale, dans le département de Concepción, la censure est beaucoup plus directe. Ainsi, en juin de l’année dernière, des agents de la Conatel  sont entrés subrepticement dans les locaux de la radio Tape Pyahu FM, du village d’Alfonso Kue, pour confisquer les équipements. L’argument des fonctionnaires : c’est une radio pirate. Or cette radio jouit depuis plusieurs années d’une autorisation d’émission octroyée par l’administration de la Conatel. Pour Carlos Goncalvez, il s’agit là d’une manœuvre qui a « comme seul but de faire taire la voix du peuple ».

A Pilar, à l’extrémité opposée du pays, les luttes d’influence sont exacerbées depuis qu’un député originaire de la ville est devenu responsable national du Parti Colorado en novembre dernier. Pour les bénévoles de la radio éducative Patria Soñada, les pressions viennent de partout. Difficile pour eux d’accomplir leur mission d’éducation. Et dans cette petite bourgade de 30 000 habitants « où tout le monde se connaît, confie un des animateurs sous couvert d’anonymat, impossible de témoigner sur notre situation sans peur de subir des représailles ».

Dans la même ville, l’association Demoinfo soutient Andres Arias. Sur les ondes de Nativa FM, c’est l’un des seuls journalistes du Sud à parler de la corruption des politiques de la zone. Un matin, il a trouvé ses locaux saccagés. Il est menacé en permanence, insulté en direct par des élus sur une autre radio. Sa seule protection : « ne jamais franchir la ligne rouge dans les enquêtes ».  

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