Le Quid, dont la publication a été interrompue en France il y a dix ans, a une sœur indienne. Elle s’appelle la Manorama Yearbook (Encyclopédie millésimée Manorama). Cet ouvrage encyclopédique en un volume, anglophone et bourré d’informations, de détails et de statistiques, est un bestseller en Inde, avec 250 000 exemplaires vendus chaque année, sans compter le chiffre de vente de ses éditions en langues indiennes. Sa parution en décembre tous les ans depuis 1965 est un événement éditorial majeur. L’édition 2017, qui compte 1 040 pages et coûte quelque 300 roupies (soit 5 euros), n’a pas dérogé à la règle.
Cette parution était particulièrement attendue par les 300 000 jeunes qui se présentent chaque année aux examens administratifs pour entrer dans la haute fonction publique. « Les diplomates indiens comme les magistrats, les décideurs du service public en général, connaissent tous la Manorama Yearbook, car ils ont bûché dessus, apprenant souvent par cœur les centaines de milliers de données sur l’Inde et sur le monde qu’ils doivent connaître sur le bout des doigts pour pouvoir faire partie des mandarins qui décident du destin de leurs pays », explique Biju Mathai, responsable de la petite équipe éditoriale qui produit ce sésame précieux.
« Tout sur tout… et un peu plus que tout »
Divisé en vingt sections ou grandes rubriques qui vont de l’actualité politique indienne et mondiale aux sports, en passant notamment par l’histoire, les relations internationales, l’environnement et les sciences, le volume 2017 de la Manorama Yearbook est riche en informations que tout « honnête homme » indien se doit de posséder. La nouvelle édition comporte des données aussi pointues que les taux de pénétration de l’internet en Inde, l'art de réfléchir ou encore des menaces (chiffrées par espèce) que la dégradation de l’environnement fait peser sur la biodiversité dans le monde. Parallèlement, comme toute encyclopédie qui se respecte, elle compte aussi les réponses aux questions généralistes. En voici quelques exemples : quelle ville appelle-t-on « la Ville lumière » ? Combien de langues officielles y a-t-il en Inde ? Ou encore, qu'est-ce qu'on appelle la mousson ?
Le volume compte aussi une vingtaine d’articles sous la plume des experts reconnus qui font le point sur un aspect spécifique de leur discipline de spécialisation. Cette année, les éditeurs de l’encyclopédie annuelle ont réussi à mobiliser notamment le talent de conteur de l’écrivain et homme publique indien Shashi Tharoor, qui raconte dans son style inimitable les secrets de la popularité au-delà des siècles et des cultures de Shakespeare, 400 ans après la disparition du dramaturge britannique. Parmi les autres articles ponctuant le volume, on pourrait citer des exposés sur les ondes gravitationnelles, le 25e anniversaire des réformes économiques en Inde ou encore une étude historique sur le présent, le passé et l’avenir de l’industrie du pétrole. L’approfondissement et la présentation généraliste sont les deux principaux secrets du succès de l’encyclopédie indienne qui a fait sienne la fameuse formule des éditeurs du regretté Quid : « Tout sur tout… et un peu plus que tout ».
Si cette accroche publicitaire a mieux réussi aux Indiens qu’aux encyclopédistes français, c’est peut-être parce que la publication du Quid indien est assurée par un éditeur qui est très présent dans le monde des médias. Produit du groupe Malayala Manorama qui publie quelques-uns des titres de presse les plus connus en Inde dont le quotidien éponyme se targuant d’être le deuxième journal le plus lu dans le pays, la Manorama Yearbook a été d’abord lancée en 1959 en version malayali (langue locale du Kérala dans le Sud où se situe le siège social du groupe), avant la création de la version anglophone six ans plus tard.
Compétition
Les années 1950-1960 furent des décennies de renouveau pour le groupe né à la fin du XIXe siècle et dont l’histoire est étroitement liée à celle de la résistance contre les colonisateurs anglais. Prônant le progressisme social, les fondateurs du groupe se sont aussi distingués depuis le début en militant pour la fin du système de castes en Inde et pour le droit à l’éducation des basses castes. K.M. Cherian, qui était le président du groupe dans les années 1960, eut l’idée de créer la Manorama Yearbook, sur le modèle des encyclopédies scolaires américaines en vogue à l’époque. Dans ces années post-indépendance, l’éducation de la jeunesse était l'un des secteurs les plus dynamiques de l’Inde nouvelle. L’objectif de Cherian était de fournir aux étudiants et chercheurs un outil de travail qui pouvait les accompagner utilement dans leur marche vers la connaissance en répondant à leur curiosité sur des questions généralistes, auxquelles ils ne trouvaient pas de réponses dans leurs manuels scolaires.
La toute première édition de la Manorama Yearbook comptait une centaine de pages et coûtait 5,50 roupies (équivalent de 10 centimes d’euro). Alors que le volume n’a cessé de grossir en nombre de pages au cours des décennies, les éditeurs ont poursuivi la politique du petit prix pour qu’il demeure abordable pour toutes les bourses.
Cela suffira-t-il pour assurer la pérennité d’une encyclopédie généraliste à l’époque des moteurs de recherche sur internet (Google, Yahoo!, Wikipédia, etc.) qui ont été fatales au Quid français ? Rien n’est moins sûr, même si pour l’équipe que dirige Mathai au siège social du groupe à Kottayam (dans le Kérala), « on ne peut pas comparer les contenus proposés par la navigation électronique avec nos contenus vérifiés, expertisés, certifiés par nos journalistes maison et les centaines de spécialistes auxquels nous faisons appel lors de la préparation du numéro ». Pour l’instant, les éditeurs de la Manorama Yearbook résistent à la tentation de passer du support papier au support cédérom ou site internet. Une résistance qui ne fera peut-être pas long feu quand on sait que les moteurs de recherche attirent plus d’une centaine de fois de plus de visiteurs par jour que le nombre d’acheteurs par an de l’encyclopédie indienne.