Les vicissitudes de l’actualité mondiale n’ont jamais autant pesé sur le marché du tourisme. Beaucoup de professionnels du secteur présents au dernier salon Top Résa 2015 s’y résignent, comme Jean-Luc Delmarle, directeur de Rond-Point Evasion du Havre : « Bientôt il faudra étudier la géopolitique de chaque destination avant d’acheter des séjours ». Notamment dans les pays d’Afrique subsaharienne, qui paient ainsi l’instabilité provoquée non seulement par la présence des jihadistes depuis 2011, mais également par la propagation du virus Ebola en 2013.
Laurent Magnin, PDG de la compagnie XL Airways le concède : « J’ai arrêté de faire ces destinations, autant le Mali que le Sénégal - la plupart des clients ne font pas la différence - car les gens ont peur d’y aller ». Le tour opérateur normand renchérit : « La dernière fois que j’ai affrété un avion pour Dakar, je me suis pris une claque en ne vendant que 200 places sur 300. Du coup, j’arrête. »
La prise d’otages à l'hôtel Radisson Blu Bamako le 14 novembre dernier (20 morts et 9 blessés) renforce encore les craintes liées au marché touristique et à la sécurité. La consultation de la rubrique « conseils aux voyageurs » du ministère français des Affaires étrangères est un premier pas avant tout déplacement pour y voir plus clair sur la situation de chaque destination.
Difficile équation
L’attractivité touristique est chaque jour plus fragilisée par la triste actualité. Celle de la Turquie, notamment touchée le 10 octobre dernier par l’attentat le plus sanglant de son histoire au cœur de sa capitale Ankara (95 morts), bien qu’il n’ait pas touché de touristes. Celle de l’Egypte, qui tente de restaurer son blason touristique depuis l’accession au pouvoir du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, non sans mal. Après l’incident du car de touristes mexicains accidentellement visé lors d’un raid aérien de l’armée (12 morts), le récent crash de l’avion de la compagnie russe Kolavia reliant Charm el-Cheikh à Saint-Pétersbourg (224 morts) et l’ordre de rapatriement des tous les touristes russes et certains britanniques, pourraient considérablement réduire le potentiel regain touristique du pays. LaRussie a par ailleurs interdit les vols EgyptAir à destination de la Russie « jusqu’à nouvel ordre ».
Quant à la Tunisie, qui avait dû faire face aux conséquences du printemps arabe dès 2011, elle a subi une série d’attaques visant directement des touristes étrangers au Musée du Bardo (24 morts) et sur la plage du Riu Imperial Marhaba à Port el-Kantaoui (38 morts). L’impact a été sans appel, comme le souligne le directeur général de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), Abdellatif Hamam : « De janvier à mai 2015, la fréquentation globale était déjà en recul de près de 17 % par rapport à 2014 et de 21 % par rapport à 2010. Après l’attentat de Sousse, la baisse s’est accentuée, passant au 30 septembre à 42,5 % par rapport à 2014... ». Et mardi 25 novembre, c’est en plein centre de Tunis qu’une troisième attaque contre la Garde du président Béji Caïd Essebsi a fait 12 morts. Ce dernier a immédiatement décrété l’état d’urgence ainsi qu’un couvre-feu entre 21h et 5h alors que se tient au même moment les Journées cinématographiques de Carthage.
Le pays, désormais déserté par ses touristes, pourra-t-il se relever ? Le directeur de l’ONTT déplore l’ampleur des dégâts : « Plus de 70 hôtels ont fermé depuis la fin de la saison de pointe et l’Etat met tout en œuvre pour sauver les emplois liés à ces fermetures. » De son côté, Atout France assure apporter développement, conseils et expertise afin d’accompagner le tourisme tunisien. La France et plus largement l’Europe, sont d’autant plus attentives à ce qui se passe au Maghreb qu’elles structurent ce marché depuis des décennies.
Des destinations coutumières du fait
Le Liban, qui alterne périodes de paix et de heurts, tente encore de s’imposer comme une destination touristique comme les autres. Pour Serge Akl, directeur de l’Office du tourisme libanais en Europe, les troubles ponctuels n’ont pas suffi à ralentir son développement. En revanche, reconnaît-il, « la guerre en Syrie (…) mine notre activité. Avec, en sus, l’afflux de plus d’un million de réfugiés syriens que nous accueillons tant bien que mal ». Activité touristique qui a connu « un vrai ralentissement et même une baisse dangereuse » de 2011 à fin 2013.
De son côté, Israël connaît une escalade des violences depuis octobre 2015. Pourtant, selon Efrat Groman, directrice de l’Office du tourisme israélien en France, la destination reste « sûre et sans aucun problème de sécurité pour les touristes ». Elle estime que celle-ci est même « en développement auprès de la plupart des touristes dans le monde. »
« Résilience » touristique
Enfin, l’Hexagone n’est pas exempt d’instabilité depuis les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher des 7 et 9 janvier 2015. Pour Christian Mantei, directeur général d’Atout France, « les événements du 11-Janvier ont eu, certes, un effet négatif sur le tourisme français. Mais moins longuement qu’après ceux du 11-Septembre à New York, qui avaient aussi affecté un mode de transport (l’aérien, Ndlr) et un centre économique mondial. De ce point de vue, la France a eu une relative rapidité de recouvrement en l’espace de deux mois. » Moins d’un an plus tard, le 13 novembre, six attaques simultanées à Paris ont fait 130 morts et 352 blessés, avec des victimes françaises et de 26 autres nationalités. Face à cette tragédie, Christian Mantei se rassure : « L’organisation de la COP21 à Paris nous offre une couverture mondiale qui sera l’opportunité d’un premier rebond touristique ».
Reste à déterminer comment l’industrie touristique parisienne - et plus largement française - se relèvera de ces événements. Une problématique au centre de la réunion des acteurs du tourisme organisée à l’initiative de Matthias Fekl autour de Laurent Fabius, Manuel Valls et de 25 représentants du secteur. Du côté des tour-opérateurs français, on estime que certaines destinations n’ont pas à pâtir du casse-tête géopolitique. Pour Claude Blanc, de l’agence Terres de Charme, « il est indéniable que la liste des destinations touristiques considérées comme " sûres " par le ministère des Affaires étrangères et les médias rétrécit comme une peau de chagrin. Et que cela impacte fortement le niveau des ventes des voyagistes français. Mais, affirme sonco-président, Terres de Charme continuera de programmer des " voyages singuliers " vers les régions du monde qui sont injustement boudées par les voyageurs français, telles que la Vallée du Nil, la Tanzanie, le Maroc, la Namibie, le Zimbabwe, etc. Tout en préservant la sécurité et la santé de ses clients. »
Quant à savoir dans quelle mesure la France a bénéficié de touristes échaudés par la situation des destinations précédemment citées, Christian Mantei temporise : « Il y a eu un petit effet de report mais pas plus que cela, car nos produits touristiques ne sont pas identiques à ceux de la Tunisie ou de l’Egypte. L’Espagne ou, plus loin, la République dominicaine proposent des produits plus proches et sont de fait des destinations à en tirer bénéfice».