Shebabs somaliens: la «stratégie du repli»

Pour l’anthropologue Benoît Hazard, la «stratégie d’exportation de la guerre» des shebabs somaliens marque le pas au Kenya. Le mouvement islamiste, «affaibli», se replie sur la Somalie où il tente de refaire ses forces à l’intérieur du territoire, et d’acquérir une nouvelle légitimité auprès de la population, qui s'est altérée ces dernières années.

Ces derniers mois, les attaques des shebabs somaliens avaient surtout attiré l’attention des médias sur les pays voisins, à commencer par le Kenya, un des fers de lance de la mission de l'Union africaine en Somalie (Amisom), qui les avait délogés de leurs principaux bastions en Somalie entre 2009 et 2014. L’attaque sanglante de l’université de Garissa, en avril 2015, qui rappelait par sa violence la tragique prise d’otages de Westgate à Nairobi en 2013, ainsi que les attaques des sites touristiques du nord du Kenya, avaient  achevé de détourner les regards de la Somalie.

L’exportation de la guerre au Kenya était liée, selon l'anthropologue Benoît Hazard, au fait que « les Kényans avaient décidé, en tant que nation, de sécuriser leurs frontières, et en particulier de prendre ou de reprendre les territoires du sud de la Somalie, le Jubbaland ». De fait, cette stratégie s’est avérée payante. L’incursion kényane en Somalie a considérablement affaibli le mouvement. « On est passé de 20 000 à 5 000 hommes en terme d’effectifs », rappelle le chargé de recherche au CNRS. En représailles, « le mouvement a donc essayé d’une part d’infiltrer le territoire kényan en installant des cellules dormantes, ou des cellules jihadistes qui sont parfois le fait des Kényans eux-mêmes. »

Mais la semaine dernière, des opérations ont été lancées contre une base de renseignements somalienne et un convoi de diplomates des Emirats arabes unis à Mogadiscio, ainsi que contre les garnisons de l'Amisom à Lego et de l'armée somalienne à Kismayo. Cela montre, affirme Benoît Hazard, que les groupes islamistes semblent vouloir « redéployer la guerre en Somalie». Une tentative de reconquête de territoires, selon le chercheur, mais aussi et surtout une « stratégie de repli » du mouvement sur les terres somaliennes.

Aveu de faiblesse

« Si les dispositifs de sécurité kényans fonctionnent mal, ils fonctionnent quand même », et les shebabs ont subi des revers dans ce pays. En outre, la montée en puissance des troupes des autres Etats de l’Union africaine en Somalie a fait que l'ennemi ne soit plus le seul Kenya dans la région, mais bien tous les pays de l'Amisom. D'où les menaces reçues récemment par le Burundi et l'Ouganda, mais aussi et surtout ce retour sur les terres somaliennes. « Ce qui est vrai, affirme Benoît Hazard, c’est qu’on a une remontée des attaques qu’on n’attendait pas, vers Mogadiscio, c'est-à-dire beaucoup plus au Nord que dans le Jubbaland. »

Mais pour lui, il s'agit également d'un aveu de faiblesse de la part du groupe terroriste, notamment en termes d'effectifs. « En toile de fond, il peut y avoir une tentative de déstabilisation du processus de retour à un système constitutionnel, poursuit Benoît Hazard. Mais l’enjeu, pour les shebabs, c’est d’abord de reconstituer leurs forces et ils sont vraiment en grande difficulté de ce point de vue-là. » Les quelques positions tenues par les shebabs dans les zones rurales du sud de la Somalie sont loin, en effet, du projet fondateur des shebabs, qui visait à constituer un grand califat avec des mouvements « rattachistes » de l’Ogaden, à l'est de l'Ethiopie, et des mouvements séparatistes du Somaliland, au nord-ouest de la Somalie. « Cet espèce de califat pouvant aller jusqu’au Soudan du Sud est pour l’instant un projet plutôt en péril », souligne Benoît Hazard.

Un autre détail attire en outre l'attention du chercheur. Les cibles aussi semblent avoir évolué. « Ils s’en prennent aux représentants de l’Etat, aux militaires, et moins aux habitants ou, on va dire, aux gens du commun […] On voit qu’il y a un changement de stratégie parce que les attaques comme celles de Garissa ou de Westgate ont probablement eu des effets désastreux, y compris à l’intérieur des rangs des shebabs - parmi ceux qui ne sont pas forcément les plus convaincus, mais aussi parmi les Somalis. »

Des divisions claniques

Les shebabs chercheraient, par ce repli en Somalie, à reconquérir également une certaine légitimité auprès des populations locales, en partie perdue depuis quelques années. Dans le sud de la Somalie, explique Benoît Hazard, les shebabs avaient des effectifs, des possibilités de recrutement et également un impact, parce qu’ils véhiculent un certain nombre d’outils de communication moderne. « Entre 2009 et 2011, ils avaient une certaine forme de popularité qui s’est effondrée au moment des grandes sécheresses de 2011 et le refus opposé par les shebabs de faire entrer l’aide humanitaire des organisations internationales, ce qui a provoqué des fortes divisions claniques. »

La Somalie est une société pastorale organisée sur un système de clans, rappelle l'anthropologue. « Les shebabs s’en sont pris à certains clans et ont créé eux-mêmes de la division dans la société somalienne. Et ça, ils ont beaucoup de mal à s’en remettre ». Certains clans ayant pris le parti de dénoncer ceux qui leur étaient trop proches et par conséquent sont beaucoup plus divisés qu’ils ne l’ont jamais été par rapport au mouvement shebab. Et ils seraient aujourd'hui, souligne-t-il, « assez peu disposés à apporter leur soutien au groupe terroriste ».

Connexions avec d'autres groupes

De par leur singularité idéologique, les shebabs ne peuvent, en effet, compter que sur eux-mêmes, une partie de la diaspora somalienne qui les a soutenus financièrement par le passé. Il peut y avoir également ici ou là des connexions avec d'autres groupes comme cela a pu être le cas avec al-Qaïda (et surtout al-Qaïda au Yémen), ou encore l'organisation Etat islamique, qui a lancé il y a quelques semaines un appel aux jeunes Somaliens pour qu'ils rejoignent leurs troupes.
 

Mais pour Benoît Hazard ces coopérations s'arrêtent là, et une affiliation du mouvement au groupe EI lui semble, par exemple, peu probable. « La caractéristique du mouvement shebab est de lier le jihadisme à l’ultranationalisme somalien, précise le chercheur. Et cet ultranationalisme, c’est la frontière qui fait qu’il peut y avoir une absence de connexion avec le groupe EI ». Avant d'ajouter : « Il y a une sécession très forte sur des bases claniques et entre chefs de guerre à l’intérieur du mouvement shebab, qui se prête mal à l’unité. Quant à l’adhésion des Somalis au groupe EI, je vois mal cela se passer sans le canal des shebabs. »

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