En Algérie, les associations aident au quotidien des migrants

Face à la fermeture des frontières européennes, les migrants qui s’installent en Algérie sont de plus en plus nombreux. Sans titre de séjour, ils n’ont aucun droit. Les associations travaillent pour leur permettre d’être soignés et d’éviter l’isolement.

« Quand tu allais à l’hôpital, tu te faisais contrôler et arrêter. Certaines femmes ont été menottées pendant qu’elles accouchaient », raconte Etienne*, un migrant qui vit depuis dix ans en Algérie. Dans le plus grand pays d’Afrique, un étranger sans papiers bénéficie de peu de protection. Sans titre de séjour, impossible d’avoir un contrat de location, impossible d’avoir un contrat de travail et impossible d’inscrire des enfants à l’école publique ou des jeunes à l’université. Les contrôles d’identité peuvent avoir lieu n’importe où et les barrages de police ou de gendarmerie sont réguliers, alors les migrants sortent peu.

Jusqu’en 2011, ceux qui étaient noirs de peau, avaient du mal à avoir accès aux hôpitaux. « Les agents d’accueil ou de sécurité demandaient à voir les papiers d’identité. Sans papiers, la police était appelée. Cela ne concernait pas les Syriens ou les Irakiens », ajoute Etienne. L’antenne Algérie de Médecins du Monde, aidée par des associations locales, a fait de la sensibilisation auprès des centres de santé des quartiers où vivent les migrants à Alger et Oran. « Aujourd’hui, l’accès à la santé est possible et peu cher comme pour les Algériens », explique Charlotte De Bussy, coordinatrice pour Médecins du Monde.

Le rôle de l’Eglise

Perçue comme un pays de transit sur la route de l’Europe, l’Algérie est aujourd’hui un pays où les migrants qui viennent des pays subsahariens restent en moyenne trois ans, selon les associations. A Oran, la deuxième ville du pays, on estime que 6 000 migrants sont installés. « Ces sept dernières années, j’ai vu arriver de plus en plus de migrants subsahariens dans la paroisse, raconte Thierry Becker, prêtre chargé de la paroisse d’Oran depuis huit ans. C’est à partir de leur présence que nous avons orienté les services du diocèse pour les aider ». Face à son ordinateur, Thierry Becker prépare une liste de noms et de numéros d’écrous des migrants subsahariens emprisonnés à qui il a le droit de rendre visite, car ils sont chrétiens.

Il a obtenu ce droit de visite auprès du ministère de la Santé. Avec l’aide de la Croix-Rouge, il a également eu l’autorisation d’utiliser une grande salle pour réunir tous les migrants lors de sa visite hebdomadaire. Pendant quelques heures, il donne des nouvelles des familles et transmet des colis. Armand, Camerounais de 26 ans, a passé plusieurs semaines en prison pour « séjour illégal » : « C’est grâce au père Thierry que j’ai tenu le coup ».

Du travail pour l’image de soi

Le diocèse d’Oran et l’association Caritas organisent également des visites aux malades et aux femmes qui viennent d’accoucher. Evariste, un Camerounais de 38 ans, en est chargé. « Je suis arrivé ici comme aventurier et je fréquentais l’Eglise. On m’a proposé cette tâche, j’ai accepté parce que je me suis dit que je pourrais être utile », explique-t-il, tout en s’occupant du jardin, son deuxième rôle dans le centre diocésain.

Le marché du travail algérien est régulé selon le principe de la préférence nationale. Un étranger ne peut pas travailler sans autorisation officielle. Les migrants subsahariens qui le peuvent travaillent alors dans des chantiers ou sur des exploitations agricoles. Pour les femmes, les possibilités se réduisent à la préparation de plats traditionnels d’Afrique de l’Ouest ou au tressage de cheveux.

Faute d’argent, Alice* est devenue la « femme » d’un autre migrant : « Quand tu arrives, on te dit : il y a quelqu’un qui a besoin d’une femme pour un travail. Mais ce n’est pas un travail. Je me suis retrouvée en couple sans l’avoir voulu. Ensuite, tu te dis que cet homme s’est occupé de toi, qu’il t’a permis de manger, de te laver, de téléphoner et que si tu fais des problèmes, tu vas te retrouver à la porte. Alors tu te laisses aller ». Après quelques années et grâce aux liens avec la paroisse, Alice est chargée par une association d’organiser des groupes de parole avec des migrantes, ce qui lui permet de sortir de son quotidien : « Je me suis rendue compte que je pouvais m’épanouir, être occupée, ne plus être enfermée. Ce travail m’a aidée à prendre confiance en moi et à avoir de l’estime pour moi-même. Dans ce parcours de migration, les femmes sont dévalorisées, nous sommes des objets sexuels, c’est tout ».

Difficile de porter plainte

Aujourd’hui, les acteurs associatifs tentent de sensibiliser la société civile et les institutions à la fragilité des migrants face aux situations d’insécurité. « Après un viol ou une agression, aller porter plainte sans titre de séjour, c’est très compliqué », explique Fabrice, 45 ans. Lorsqu’il se fait agresser par plusieurs hommes au début de l’année, la première question de l’employé qui l’accueille aux urgences de l’hôpital, la tête ensanglantée, concerne ses papiers d’identité. « Il est difficile pour un sans-papiers d’avoir recours à la justice », regrette Ouadi Amerarni, avocat au barreau d’Alger et membre de la Ligue de défense des droits de l’homme. Alice estime que dans certains quartiers d’Oran, les forces de sécurité acceptent plus facilement d’accueillir les migrantes qui veulent porter plainte pour viol : « Il y a encore beaucoup de travail, mais c’est un défi pour les associations. Les migrants sont là, il faudra bien faire quelque chose pour eux ! »

* Les prénoms ont été modifiés

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