En Tchétchénie, les autorités craignent un regain de violence

Derrière une normalisation apparente, la République de Tchétchénie semble toujours instable vingt ans après le début de la première guerre, qui avait débuté le 11 décembre 1994. Une attaque a encore eu lieu dans la nuit du 4 décembre à Grozny, le jour où le président Poutine s’adressait à la nation russe. Enquête.

Le 11 décembre 1994, Boris Eltsine signait le décret autorisant l’intervention des troupes du ministère de la Défense et de l’Intérieur de Tchétchénie, en vue de rétablir l’ordre constitutionnel. C’était le début de la première guerre, qui s’est achevée en 1996. Après une série d’attentats sanglants, une deuxième guerre de Tchétchénie eut lieu de 1999 à 2000, cette fois à l’initiative de Vladimir Poutine. Depuis, le pays a été reconstruit, bénéficiant des milliards attribués par le gouvernement central de Russie. C’est ainsi que la Russie a acheté la paix.

La République de Tchétchénie vit sous perfusion : Moscou finance 80% du budget de cette République caucasienne. Pour autant, la Tchétchénie est toujours dans une situation d’instabilité, comme l’a démontré l’attaque qui s’est produite dans la nuit du 4 décembre et où 11 assaillants et 14 membres des forces de l’ordre ont été tués.

Des gratte-ciel flambant neufs

Les autorités russes et tchétchènes affirment toutes deux que la République de Tchétchénie est un endroit calme et sûr. Le centre de la capitale Grozny est moderne, avec un quartier d’affaires hérissé de gratte-ciel flambant neufs. C’est cette image-là que les autorités souhaitent donner à l’étranger. Mais en réalité, il existe toujours des zones de grande pauvreté, un chômage supérieur à 30% et un pouvoir qui règne de façon très autoritaire avec des méthodes claniques, pour ne pas dire mafieuses.

Après l’attaque de la semaine dernière, Gregory Chvedov, un journaliste tchétchène, écrivait sur le site Le Nœud du Caucase : « La Tchétchénie réconciliée, c’est un mythe ». Les interpellations sont nombreuses, les actes terroristes ou du moins les tirs dans la ville sont encore choses courantes. En cette année 2014, il y a eu au moins deux attentats dont on a parlé dans les médias, ce qui n’est pas le cas pour tous car les autorités cherchent à cacher ces événements.

En octobre dernier, les forces de l’ordre ont évité un carnage en interpellant un kamikaze qui s’était fait sauter à l’entrée d’une salle de concert : cinq policiers ont été tués. En avril, une voiture a explosé, faisant quatre morts. Le dernier attentat important avait eu lieu en 2010 contre le Parlement.

D’après la presse russe, le Kremlin était particulièrement furieux à l’annonce de l’attaque de la nuit du 4 décembre, qui a eu lieu le jour où le président Poutine s’adressait à la nation russe, lors d’un discours devant les deux assemblées réunies. Cette date n’a d’ailleurs sans doute pas été choisie par hasard par les assaillants, qui voulaient faire passer un message non seulement au président tchétchène, Ramzan Kadyrov, mais aussi au président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.

Aussitôt, les autorités tchétchènes ont mis en cause les services secrets occidentaux, histoire de sauver la face et défendre le mythe d’une nation réconciliée au sein de la Fédération de Russie. En réalité, le Caucase du Nord - Tchétchénie, mais aussi Daguestan ou Ingouchie - est une zone d’instabilité. Au début de l’année, les autorités ont annoncé la mort de Dokou Oumarov, le chef des islamistes de l' « Emirat du Caucase ». Mais il semble qu’il ait trouvé un successeur, puisque c’est ce même émirat qui a revendiqué les attaques de la semaine dernière... Et annoncé la création d’un « Etat islamique », ce qui pourrait avoir des conséquences en Tchétchénie.

Des Tchétchènes de la diaspora

En effet, beaucoup de Tchétchènes ont répondu à l’appel de l’organisation Etat islamique. Avec une première conséquence, la baisse du nombre d’attentats après le départ des plus radicaux. Une constatation que font les ONG et le gouvernement. Les chiffres varient concernant le nombre de Tchétchènes dans les rangs de l’organisation EI. Mais ils sont sans doute plus de 1 500, dont une bonne partie sont des Tchétchènes de la diaspora qui vivaient en Turquie ou en Occident.

D’après certains chercheurs, les Tchétchènes qui ont fait les deux guerres, ceux que l’on pourrait qualifier d' « anciens combattants », sont plutôt affiliés à l' « Emirat du Caucase » qui s’est rallié à Ayman al-Zawahiri, autrement dit à al-Qaïda, tandis que les plus jeunes sont partis pour la Syrie et ont rallié Abou Bakr al-Baghdadi.

Parmi eux, on compte deux chefs de guerre influents : Abou Jihad al-Chichani et Omar al-Chichani. Ce dernier, de son vrai nom Tarkhan Batirachvili, est surnommé « Barberousse ». Il est de mère tchétchène et de père géorgien. Il y a d’ailleurs un certain nombre de Géorgiens dans les recrues de l’organisation EI. Une formation spécifique en son sein a été créée avec les ressortissants du Caucase, et le russe serait la deuxième langue la plus parlée après l’anglais. Selon des chiffres fournis par EI, quelque 500 Caucasiens auraient été tués dans les combats.

En juin, Abou Bakr al-Baghdadi a qualifié les Etats-Unis et la Russie de « principaux ennemis des musulmans ». Et en septembre, dans une vidéo, l’organisation Etat islamique s’est adressée à Vladimir Poutine l’accusant de soutenir le régime syrien et affirmant vouloir libérer la Tchétchénie et le Caucase. Le message était dit en arabe, sous-titré en russe. Mais dans la vidéo en question, l’un des combattants – qui montrait un avion saisi par les islamistes affirmant qu’il s’agissait d’un avion russe – s’exprimait dans la langue russe.

Ces informations sont prises très au sérieux par les autorités russes qui craignent un regain de violence et le retour des attentats sanglants dans le Caucase, mais aussi dans d’autres régions du territoire russe. 

 Pour en savoir plus : consultez aussi le site Kavkaz.

 

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