Elections en série en Ukraine: jusqu’où ira la Russie?

Dans Appels sur l’actualité, des auditeurs s’interrogent sur les récentes élections en Ukraine. Une semaine après la victoire des « pro-occidentaux » aux législatives du 26 octobre, d’autres élections ont été organisées le 2 novembre par les séparatistes pro-russes dans l’est du pays, avec le soutien de la Russie. Ce scrutin controversé met-il en péril les accords de cessez-le-feu signés en septembre ? Et quel rôle joue la Russie, qui avait pourtant reconnu les législatives ukrainiennes ? Explications.

Ces élections des séparatistes, qui ont eu lieu le 2 novembre, sont-elles légales du point de vue du droit international ?
Ces élections ne sont pas légales puisqu'elles violent le principe fondamental du droit international de l’intégrité territoriale, en l’occurrence de l'Ukraine. Par ailleurs, elles n'ont pas été conformes aux critères internationaux. Comme lors du référendum sur l’indépendance de ces deux républiques autoproclamées en mai dernier, il n'y avait pas de liste électorale. Il est donc difficile d'estimer le nombre de participants. Les observateurs officiels n’étaient pas non plus présents à ces élections, sauf quelques eurodéputés, notamment Jean-Luc Schaffhauser du FN (Front national, France, ndlr) qui a déclaré qu’il y était à titre personnel. En tout état de cause, cette présence controversée a permis à des médias russes de montrer que les élections se sont déroulées sous la surveillance d’observateurs internationaux.

Quelle a été la réaction de la communauté internationale ?

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, tout comme Bruxelles, a estimé que le scrutin allait « sérieusement ébranler les accords de Minsk ». Quant au secrétaire d'Etat américain John Kerry, il s'est dit « inquiet ». Il a martelé que Washington ne reconnaîtrait pas les résultats. Il faut dire que ces élections ne sont pas conformes aux accords de Minsk, autrement dit aux accords de cessez-le-feu conclus le 5 septembre entre Kiev et les séparatistes pro-russes, avec la participation de Moscou et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Du point de vue occidental, la reconnaissance de ces élections pourrait créer un nouvel obstacle sur la voie d'une solution pacifique du conflit. Le Kremlin, en revanche, ne voit aucune raison de ne pas reconnaître ce scrutin. Pour les autorités russes, les dirigeants séparatistes ont désormais la légitimité nécessaire pour dialoguer avec les autorités ukrainiennes.Les Etats-Unis et les pays européens ont mis en garde la Russie contre toute atteinte à l'unité de l'Ukraine, et ils n'excluent pas de nouvelles sanctions contre Moscou.

Ces élections vont-elles mettre en péril les accords de cessez-le-feu signés en septembre entre Kiev et les séparatistes pro-russes ?
Elles prouvent au moins que les séparatistes ne respectent pas ces accords, puisque si tel était le cas, le vote aurait été organisé le 7 décembre, ce que prévoyait le protocole de Minsk et qu’avait décidé le Parlement ukrainien. Pourtant, les séparatistes ont rejeté l'initiative de Kiev en fixant leur propre date, le 2 novembre. Par ailleurs, même si les combats d'envergure se sont calmés depuis la signature de l'accord, le cessez-le-feu restait toujours fragile. Depuis un mois et demi, une centaine de soldats ukrainiens sont morts dans l'est du pays. Et les autorités ukrainiennes craignent une nouvelle offensive des séparatistes et de l'armée russe. Dimanche dernier, Kiev a dénoncé un déploiement « intense d'équipements et de troupes » en provenance de la Russie vers les territoires contrôlés par les rebelles. Kiev, qui a durci le ton, compte récupérer les régions sous contrôle des séparatistes, comme l’a annoncé son ministre des Affaires étrangères. L'Ukraine envisage de revoir ses engagements de paix. Et son président s’apprête à supprimer la loi sur le « statut spécial » des régions séparatistes, approuvée en septembre.

Comment expliquer que la Russie reconnaisse les élections législatives ukrainiennes du 26 octobre alors qu’elle soutient les séparatistes pro-russes qui ont organisé les élections séparées du 2 novembre ?
Il n'y avait aucun paramètre qui aurait permis à la Russie ne de pas reconnaître ces élections. Certes, la Russie avait qualifié la révolution du Maïdan de « coup d'Etat » et les autorités provisoires n'ont pas été reconnues par Moscou. Mais depuis la présidentielle, fin mai, et la rencontre entre Petro Porochenko et Vladimir Poutine, il n'y a plus aucun doute sur la reconnaissance par la Russie de la légitimé des autorités ukrainiennes, qu’il s’agisse de celle du président ou de celle du Parlement. D'autant que les députés de l'ancien parti de l'ex-président pro-russe, Viktor Ianoukovitch, seront également présents dans ce nouveau Parlement. Ces élus, qui ont recueilli environ 10% des voix, ont formé un bloc d'opposition. Et Moscou a déjà déclaré qu’il aura ses interlocuteurs dans ce Parlement. En ce qui concerne les élections séparatistes soutenues par la Russie, elles ont encore une fois montré que l'intention de Moscou est de créer une Transnistrie ukrainienne - à l’instar de la petite république sécessionniste russe de Moldavie -, qui pourrait être utilisée comme un instrument de déstabilisation de l'Etat ukrainien.

Quel est l’impact de ces élections sur l’unité de l’Ukraine ?
Cette question était au cœur de la campagne électorale, car on sait que l'Ukraine a perdu la Crimée et risque de perdre aussi une partie de ses territoires dans l'Est. Voici pourquoi beaucoup de partis politiques ont appelé à s'unir face à la menace de guerre. Malgré le mouvement séparatiste soutenu par la Russie, ces élections législatives ont démontré que l'Ukraine n'est plus divisée comme avant. Même lors des élections de 2012, on pouvait voir la carte de l'Ukraine divisée tout au long du fleuve Dniepr. On expliquait : dans l'Est, gagne le parti pro-russe, dans l'Ouest, le parti pro-occidental. Tandis qu’aujourd'hui, on n'a plus que deux grandes forces politiques qui s'affrontent et qui ont deux visions différentes de la politique étrangère. De plus, la révolution et la guerre ont énormément contribué à l'unification nationale. On ne peut pas dire que toute la partie de l'Est du pays est devenue d'un coup pro-occidentale, mais simplement que la question ne divise plus. Aujourd'hui, de plus en plus d'Ukrainiens, dans l'Est et dans l'Ouest, commencent à comprendre qu'ils ont le même objectif : vivre dans un pays libre et démocratique, sans corruption et sans violation des droits humains. Le Maïdan, la guerre et les élections ont montré qu’une division Est-Ouest fait partie du passé.

A l’issue des résultats, une coalition va-t-elle diriger l’Ukraine ?
Même si en Ukraine il n’existe pas de partis politiques étiquetés de gauche et de droite, comme en France, certains éléments permettent de dire que le Parlement sera majoritairement au centre-droit. Il sera également pro-européen, puisque la plupart des partis qui ont gagné définissent comme priorité l'application de l'Accord d’association avec l'Union européenne. Pour le moment, on n'a que les contours de la future coalition, mais on peut déjà dire que les partis du Premier ministre, le « Front populaire », et du président, le « Bloc de Petro Porochenko », en feront partie. Les négociations continuent avec la troisième force, « Samopomich ». Et le parti de Ioulia Timochenko, qui a eu un score très bas - moins de 5 % -, pourrait également y entrer. Dans ce nouveau Parlement, il n’y a ni extrême droite ni nationalistes, contrairement à ce qu'annonce Moscou. Un point important à souligner, enfin, c'est qu'il y a beaucoup d’activistes de Maïdan, des journalistes, des combattants de retour du front, entrés dans ce Parlement qui est un mélange de l'ancienne et de la nouvelle génération. Reste que pour ce nouveau Parlement, les enjeux  sont de taille. Notamment, les réformateurs parviendront-ils à vaincre les corrompus ? Les clans des oligarques, très ancrés dans la vie politique, pourront-ils être démontés ? Ou l'Ukraine s'enfoncera-t-elle dans une crise politique plus profonde, qui s'ajoutera à la guerre et empêchera le pays de prendre la voie des réformes et de l’intégration européenne ?

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