Avec nos envoyés spéciaux à Seyne-les-Alpes, Stéphane Burgatt et Guilhem Delteil
L'hélitreuillage des corps des victimes du crash a commencé en milieu d'après-midi ce mercredi, indique une source proche de l'enquête. Elles doivent reprendre jeudi après le lever du jour. Cinq gendarmes spécialisés en haute-montagne passent la nuit sur place pour sécuriser le site. La zone de recherche est située dans un périmètre particulièrement escarpé, un flanc de pente abrupte à 1 500 mètres d’altitude, difficile d’accès. La récupération des corps risque d’être longue, compte tenu de leur état et de la topographie. L'avion, qui s’est écrasé mardi, transportait 144 passagers et 6 membres d'équipage.
■ L' enquête progresse
« C'est une scène très difficile d'accès », avait d'emblée prévenu le général de gendarmerie David Galtier, mardi après-midi. Mais une des boîtes noires, le CVR (Cockpit voice recorder), de l'appareil a été retrouvée et, selon les dernières informations disponibles, il s'agit de celle enregistrant les sons et des conversations à l'intérieur du cockpit. Elle est exploitable mais « endommagée », a précisé une source proche de l'enquête à l'AFP. Elle a été transférée à Paris au Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA).
L'enquête s'est accélérée ce mercredi avec l'examen de la boîte noire. Lors d'une conférence de presse, Rémi Jouty, le directeur du BEA, a expliqué que les travaux d’exploitation et de lecture de la boîte noire trouvée mardi sur l’épave de l'avion ont démarré dès son arrivée à Paris et se sont poursuivis ce mercredi tout au long de la journée. « Quelques difficultés ont été rencontrées pour les lire, cependant nous avons à l’instant réussi à en extraire un fichier de données audio utilisables. Nous savons que c’est bien relatif à ce vol-là ». Une très bonne nouvelle au vu de l'état très dégradé de cette boîte noire.
Il est trop tôt pour tirer la moindre conclusion, il faudra plusieurs jours encore, a expliqué le directeur du BEA. « A ce stade, on ne ferme aucune hypothèse ». Rémi Jouty a toutefois estimé que la concentration des débris n'était pas compatible avec une explosion en vol et que le scénario d'une dépressurisation n'était pas privilégié. L'avion a volé « jusqu'au bout » avant de s'écraser. Le dernier message émis de l’avion était un message de routine, explique encore le directeur du BEA.
Un pilote était enfermé hors du cockpit au moment du crash
Un pilote a quitté le cockpit et n’a pas pu y retourner au moment de la descente de l’avion, selon un enquêteur, cité par le New York Times. « On peut entendre qu'il essaie de défoncer la porte », indique un enquêteur au journal, en citant des informations émanant d'un enregistreur de voix du cockpit.
Les enquêteurs du BEA épaulés par leurs homologues allemands et espagnols, vont désormais s'atteler à un travail détaillé pour comprendre et interpréter tous les sons entendus sur ce fichier audio. Mais pour tirer la moindre conclusion, l'exploitation des sons devra absolument se faire en coordination avec les paramètres de vol, contenus, eux, dans la seconde boite noire, dite FDR (Flight Data Recorder), qui n'a pas encore été retrouvée, contrairement à l'information donnée par François Hollande, selon qui « l'enveloppe » de cette boîte aurait été retrouvée. Des gendarmes passeront la nuit de mercredi à jeudi autour des débris de l'avion, à environ 1 500 mètres d'altitude, puis les investigations reprendront jeudi matin après le lever du jour pour retrouver la deuxième boîte noire de l'appareil. Le directeur du BEA s'est dit « raisonnablement optimiste » de la localiser.
De son côté, le patron du groupe aérien Lufthansa, Carsten Spohr, a affirmé ce mercredi que l'avion était « techniquement irréprochable » et a qualifié l'accident d'« inexplicable ».
Selon le patron de la compagnie Germanwings, l'Airbus A320 aurait commencé à perdre de l'altitude vers 10h32, mardi 24 mars, et aurait chuté durant huit minutes avant de s'écraser. La descente modérée de l'avion et sa trajectoire linéaire le conduisant directement sur les montagnes traduisent un comportement inexplicable de l'équipage, avancent des experts aéronautiques. L'équipage peut avoir été rendu inconscient, en raison d'une dépressurisation lente et d'un manque d'oxygène. Le pilote peut avoir été suicidaire ou obligé par un tiers à s'écraser contre la montagne. L'équipage n'a pas émis d'appel de détresse. Le contrôle aérien a pris l'initiative de déclarer l'avion en détresse car il n'avait plus aucun contact avec l'équipage et l'avion.
Une chapelle ardente et un PC opérationnel ont été installés à Seyne-les-Alpes où des familles de victimes se succèdent ce mercredi. François Hollande, Angela Merkel et Mariano Rajoy sont sur place. Ils se sont entretenus avec des médecins, des pompiers et militaires impliqués dans la recherche des corps. Deux nouvelles victimes espagnoles ont été d'ailleurs été identifiées parmi les passagers.
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« Toutes les hypothèses doivent être regardées », a précisé ce mercredi matin le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, mais un acte terroriste n'est pas à ce stade l'hypothèse privilégiée. Une possibilité que semble écarter aussi Jean-Claude Bück, ancien pilote de ligne et commandant de bord chez Air France, et ancien président de l’Académie de l’air et de l’espace, interrogé par RFI. « D’une part parce que l’accès au cockpit est sécurisé, explique-t-il. Il y a une porte plus ou moins blindée et il faut un code pour y rentrer. Après, sous la menace, on peut obliger une hôtesse à composer le code, mais ça suppose une préparation en amont et ça suppose une revendication en aval. Et d'autre part, car cet avion-là ne semble pas être une cible particulièrement intéressante. »
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■ La nationalité des victimes se précise
Les victimes du crash sont originaires d'une quinzaine de pays, d’après les autorités françaises. Le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a évoqué, lors d'une rencontre avec la presse, « les nationalités qui sont avérées ». Sur un bilan de 150 morts, l'Allemagne et l'Espagne ont annoncé 72 Allemands et au moins 51 Espagnols décédés. Mais « il y a des nationalités confirmées qui sont aussi l'Argentine, l'Australie, la Belgique, la Colombie, le Danemark, la Grande-Bretagne, Israël, le Japon, le Maroc, le Mexique et les Pays-Bas », a ajouté Laurent Fabius. « On n'a pas encore une liste absolument définitive mais c'est lié aux procédures des compagnies aériennes », a précisé le ministre des Affaires étrangères. « Normalement, c'est l'Etat de départ de la compagnie aérienne, là en l'occurrence c'était l'Espagne, qui doit donner ces renseignements mais il faut aussi faire des vérifications. »
Le Premier ministre français a aussi évoqué la présence parmi les victimes d’un Américain. « Il appartient à la compagnie Lufthansa et aux autorités espagnoles et allemandes de fournir, je l'espère le plus vite possible, l'ensemble de ces données », a confirmé Manuel Valls en sortant d'une visite à la cellule de crise mise en place au ministère de l'Intérieur.
■ Des secours à pied d'oeuvre
Les dix hélicoptères de l’armée ont effectué leurs rotations jusqu'à la tombée de la nuit. Aujourd'hui les conditions météo étaient un peu plus favorables que mardi après-midi où la couverture nuageuse et où les épisodes de pluie ont vraiment compliqué le travail des équipes sur place.
Autre complication : ces débris de l’Airbus pulvérisé sont dispersés sur près de quatre hectares en tout, même si le gros de la carcasse se trouve sur une surface décrite grande comme un terrain de football. Mais elle est située dans un périmètre particulièrement escarpé, difficile d’accès pour qui n’est pas montagnard chevronné.
Des moyens importants ont été déployés : 600 gendarmes et pompiers sont mobilisés, deux avions, et une dizaine d’hélicoptères appartenant à l’armée et la gendarmerie. Washington et Moscou ont offert leur aide pour recupérer les corps.
Les opérations vont durer plusieurs jours. Une caravane de gendarmes de haute montagne a ouvert une voie terrestre ce mercredi, car il n’y a pas vraiment de route pour accéder à ce périmètre. Les transports se font actuellement par hélitreuillage et les hélicoptères, particulièrement adaptés à ce type d’intervention, comme le Super Puma, contribuent à faciliter le travail des enquêteurs.
Au cœur de ce dispositif déployé, il y a la commune de Digne-les-Bains, à une quarantaine de kilomètres du lieu du crash, qui se prépare spécifiquement à l’accueil des familles des victimes. « Nous avons équipé nos plus grosses infrastructures, le gymnase, le Palais des congrès avec l’aide de la Croix-Rouge et des pompiers pour pouvoir accueillir dans les meilleures conditions les familles, en lien aussi avec le centre hospitalier, avec l’équipe d’aide psychologique, de soutien et d’accompagnement, détaille à RFI la maire de la ville, Patricia Granet-Brunello. On a prévu d’accueillir sur une structure entre 300 et 400 personnes, et sur l’autre structure de 400 à 800 personnes. » Deux vols avec des proches de victimes partiront vers la zone de l'accident jeudi, a indiqué ce mercredi soir le patron de la Lufthansa.
La population de Digne-les-Bains est, elle, sous le choc. Et la solidarité se fait jour. « On a des appels incessants, des messages incessants pour venir aider, pour héberger les familles, à domicile si c’est nécessaire. Il y a vraiment une mobilisation ici qui fait chaud au cœur », témoigne Patricia Granet-Brunello.
■ Vive émotion en Allemagne
En Allemagne, un vol a été supprimé ce matin chez Germanwings et « certains équipages, en raison de la peine et de l'émotion, ne se sont pas prêts » à assurer leurs vols, a souligné la compagnie aérienne Lufthansa dans un communiqué, affirmant « éprouver de la compréhension, car ces collaborateurs ont perdu, pour certains, de très bons amis au sein de l'équipage » de l'avion accidenté.
Au comptoir de Germanwings, à l’aéroport de Düsseldorf, où devait atterrir l’avion, « l’atmosphère est grave et solennelle », relate notre envoyé spéciale Stefanie Schüler. Et la presse allemande s'interroge sur le drame. « Pourquoi ? », se demande le plus grand quotidien européen Bild Zeitung, rappelant les faits tragiques : la présence de bébés, d'une classe de lycéens qui rentraient d’un séjour en Espagne avec seize élèves et deux professeurs d’une même localité, et les huit minutes en chute libre - « 480 secondes », précise le journal.
Un quotidien munichois souligne, de son côté, qu’il s’agit du premier crash d’une compagnie européenne à bas coûts. Enfin, un journal de Leipzig se demande si la guerre des prix qui règne entre ces compagnies a pu avoir une conséquence sur la maintenance et la sécurité de l’avion.