Comme avant elles le Minitel, débranché définitivement en 2012, les cabines téléphoniques sont en voie de disparition en France. Le premier s’est éteint à petit feu, au fur et à mesure qu’internet tissait sa toile. Pour les cabines, l’extinction est un peu plus brutale mais elle est rendue inéluctable par la progression exponentielle qu’a connue le téléphone mobile ces quinze dernières années. Plus de 72,1 millions de cartes SIM étaient en effet en service en France au 31 décembre 2015, soit plus d’une par Français, d’après les chiffres de l’Autorité de régulation des communications téléphoniques (ARCEP).
La date pour le démantèlement total et définitif des cabines avait été symboliquement fixée au 31 décembre 2017, après que la loi Macron de 2015 eut abrogé l’obligation de service universel de publiphonie imposée jusque-là à Orange, ex-France Télécom. En réalité, il en restera encore quelques-unes en service une fois passé le Nouvel an, une grâce accordée par les pouvoirs publics pour laisser le temps aux opérateurs de couvrir la totalité du territoire français et de faire disparaître les dernières « zones blanches », celles qui ne sont pas encore couvertes par les réseaux mobile et ont toujours besoin d’un téléphone public opérationnel sur leur commune. À l’heure actuelle, il reste moins de 300 centres bourgs considérés en « zone blanche » d’après les chiffres que nous a communiqué la Fédération Française des Télécoms (FFT).
Jusqu’à 300 000 cabines en 1997
La fin des cabines, c’est la fin d’une époque, certains diraient la fin du « monde ancien ». Des téléphones publics, il y a en eu en service dès 1889 sur le réseau français, un temps où l’usager payait sa communication à l’avance. Les premières cabines payantes, à l’aide de pièces de monnaie, sont apparues en 1923 et elles se multiplièrent dans les gares, les postes et autres édifices publics. Puis vinrent parallèlement les taxiphones qui fonctionnaient avec des jetons payables à l’avance et étaient installés dans les cafés et les restaurants. Dans la France de l’après-guerre, ces cabines avaient une fonction vitale car l’installation du téléphone fixe à domicile avait pris énormément de retard : à peine 8% des foyers français en étaient équipés en 1954 et seulement 15% en 1968, périodes durant lesquelles il n’était pas rare de devoir patienter plus d’une année pour obtenir une ligne.
À partir du milieu des années 1970, la France allait rattraper son retard en matière de ligne fixe mais cela n’allait pas empêcher la multiplication des cabines, bien au contraire, grâce notamment à l’apparition des cartes prépayées. Le pic était atteint en 1997 avec 300 000 cabines réparties sur tout le territoire, soit une moyenne d’une cabine pour 200 habitants – un ratio impressionnant quand on y pense – pour une utilisation moyenne d’un peu plus d’une heure par cabine sur le plan national. La démocratisation du téléphone portable, ajoutée au coût d’entretien des cabines rendu plus élevé par les innombrables actes de vandalisme dont elles étaient victimes, allaient alors pousser France Télécom à commencer le démembrement progressif du parc des téléphones publics (il en restait encore 45 000 en service en 2016 et un peu plus de 5 000 l'été dernier).
Alors qu’elles généraient, en 2000, un chiffre d’affaires annuel de 516 millions d’euros, le maintien en service des cabines occasionnait, ces dernières années, une perte de l’ordre de 10 millions d’euros par an pour France Télécom, devenu Orange le 1er juillet 2013. Et en 2016, le trafic des cabines téléphoniques représentait moins de 0,7% par rapport à celui enregistré en 2000 pour une durée moyenne d’utilisation de moins d’une minute par cabine par jour. Une hérésie économique. Reste que tout le monde ne voit pas ces disparitions d’un bon œil et pas uniquement les nostalgiques. C’est notamment le cas des petites communes qui dépendent du tourisme. Ainsi, Christian Grossan, le maire de Ceillac, village des Hautes-Alpes se plaignait récemment de la future dépose du téléphone public installé dans le hall de sa mairie.
Les regrets des petites communes
« Je considère, même si c’est devenu un gros mot, qu’Orange a une mission de service public », regrettait récemment cet édile au téléphone. « On est 315 habitants, reprenait-il, mais on a beaucoup de touristes, jusqu’à 3 000 l’été et 3 500 l’hiver. L’été, il y a des gens qui font de la randonnée itinérante et n’ont pas tellement envie de surcharger leur sac avec le chargeur et le téléphone. Et qui le soir venu aiment bien donner des nouvelles ». Contacté par nos soins, la direction d’Orange s’est montrée compréhensive mais implacable. « Pour la commune de Ceillac, le dernier relevé indiquait 6 secondes d’utilisation sur une année, nous a assuré l’opérateur. C’est une ville qui sera très bientôt couverte en 4G et sur laquelle on continue d’investir. On a retardé la dépose de ce point phone à la demande du maire mais elle se fera au début 2018 ». Manque de chance, les récentes chutes de neige ont rendu les communications et l’utilisation d’internet très difficiles à Ceillac, une gêne qui, espérons-le, ne sera que passagère.
On aurait pu penser que des lieux publics comme les gares ou les aéroports conserveraient quelques points de téléphonie publique mais cela n’est pas le cas. « Il n’y en a plus du tout dans les gares ni les aéroports et nous n’avons pas eu de demandes », nous a indiqué Orange. « C’est lié à la fois à l’obsolescence de cet usage et aussi parce que ces espaces offrent désormais des solutions de wifi gratuit pour les gens de passage et que grâce à la fin du roaming en Europe [adoptée le 15 juin dernier ; ndlr], les gens peuvent utiliser leur portable sans surcoût » a précisé l’opérateur. Reste qu’il y a encore des Français à ne pas posséder de téléphone portable. Pour l’heure, la seule solution qui s’offre à eux, ce sont les appareils des Maisons de service public, organismes créés en 2015. On relève cependant, qu'il n’y a guère que 2 000 établissement de ce type sur tout le territoire, qu'ils sont pratiquement tous fermés après 17h00 et qu'ils ne sont que rarement ouverts le samedi, et jamais le dimanche. Il faudra s'y faire.