Que s'est-il passé ? Comment l'agriculture française en est-elle arrivée là ? La France produit de quoi se nourrir et même exporter toute l'année. Et pourtant l'agriculture, la filière agroalimentaire ne sont plus compétitives. Les marges réalisées sont à leur plus faible niveau depuis 40 ans, les prix et les cours sont en baisse depuis 4 ans, et la filière décroche, dans l'incapacité de surmonter la concurrence, y compris en Europe.
Les crises se succèdent, les feux s'allument, sont éteints au cas par cas, toujours provisoirement, sans jamais régler le fond du problème dont les racines sont anciennes. Crise du lait l'an dernier, dans l'élevage il y a 2 ans. Cet été la tension monte dans les vergers.
Luc Barbier est producteur de mirabelles et de cerises dans l'est de la France. Il dirige la Fédération nationale des produits fruitiers. « C'est une crise inédite, de mémoire d'arboriculteur. En tout cas sur cette production-là. Un fruit l'année dernière qui était vendu entre 1,10 euro et 1,60 euro du kilo, prêt à être consommé, mis en caisse calibré, cette année, on se situe entre 0,70 centimes et 1,10 euro le kilo. Le prix de revient, qui permet de couvrir les charges, il est aujourd'hui de 1,30 euro - 1,40 euro. On vend à perte, complètement à perte ».
Sur les étals des supermarchés, aux côtés des abricots français se trouvent des abricots espagnols notamment. C’est le jeu de la concurrence, mais....
«C'est bien d'une guerre commerciale dont il s'agit»
« En dehors du prix, qu'est-ce qui différencie un abricot espagnol d'un abricot français ? Ce qui les différencie, ce sont les conditions dans lesquelles ils ont été produits, or cela nous ne sommes pas capable de le traduire au travers du prix. Lorsque vous achetez une voiture, vous n'achetez pas forcément le premier prix, parce que derrière il y a autre chose. Sauf que lorsqu'on regarde un produit alimentaire, on ne regarde pas ce qu'il y a derrière. La réalité elle est là. Donc il faut savoir à un moment ce que l'on veut. On ne peut pas dire à un Français : vous devez respecter un certain nombre de règles sociales et environnementales et en même temps, aller chercher des produits en Espagne parce que ces règles ne sont pas appliquées et qu'il est donc moins cher. Comment voulez-vous que nous puissions aller à la guerre - car c'est bien d'une guerre commerciale dont il s'agit ! - avec une armure pendant que les autres sont en train de courir le cent mètres avec des vêtements adaptés ! Cela ne peut pas fonctionner ».
Il y a 2 ans, les cours de la viande s'étaient effondrés. Les éleveurs avaient érigé des barricades dans toute la France, des barrages filtrants. Désespérés. La crise s'est soldée par la promesse d'une aide financière à la filière. Deux ans plus tard, rien n'a changé.
Adrien Bourlez, chef de file des jeunes agriculteurs dans l'Ain était sur les barricades. « On a pas vu le lait baisser en grande surface, on a pas vu le prix du pain baisser, on a pas vu celui de la viande baisser non plus, sauf que nos cours n'ont cessé de baisser et nos charges d'augmenter. Aujourd'hui, il faut retrouver une juste répartition de la valeur ajoutée de la production alimentaire française, et aujourd'hui il n'y a pas de valorisation de cette production. Donc nous, nous sommes dans un ciseau, pris en tenaille toujours, entre une production difficile à tenir parce que l'on a beaucoup de normes à respecter, c'est bien pour l'environnement et la préservation des ressources naturelles, mais derrière cela ne se traduit pas par une recherche de valeur ajoutée pour pouvoir pérenniser ces outils de productions ».
«Encore faut-il que la grande distribution joue le jeu»
Rendre au produit alimentaire, à l'alimentation la place et la valeur perdues. Aujourd'hui, cela craque de toute part. Tous les acteurs en sont conscients, et la plupart disent être prêts à aller de l'avant. Ces états généraux seront-ils l'occasion de faire bouger les choses ?
Catherine Chapallain veut le croire, elle dirige l'Ania, l'Association nationale des industries de l'agroalimentaire : « Il faut absolument arrêter avec cette spirale infernale de la guerre des prix. Il faut une harmonisation fiscale, une harmonisation sociale, des normes en matière de qualité, de réglementation fixées au niveau européen, qui soient les mêmes pour tout le monde. Dans ce cas, on peut y arriver. Encore faut-il que la grande distribution joue le jeu. C’est vrai qu'il y a un rapport de force qui est aujourd'hui déséquilibré. Il y a 4 gros distributeurs face à 17 000 entreprises et 500 000 agriculteurs, mais on a le sentiment que tout le monde réalise que l'on est arrivé au bout du bout du modèle actuel. Il faut faire bouger les lignes, cela suppose changer d'état d'esprit, recréer de la confiance, une spirale vertueuse puis très certainement, un changement de la loi de modernisation de l'économie (LME) qui a permis, d'une certaine façon, cette destruction de valeur ».
Lorsque les négociations commerciales s'engageront en octobre prochain entre les producteurs, les industriels, et la grande distribution, où en seront les belles idées et les engagements éventuellement pris, supporteront-ils l'épreuve du feu ? Personne aujourd'hui ne peut le dire.