Entendu lundi par la commission d'instruction de la CJR, Edouard Balladur a été mis en examen pour « complicité d'abus de biens sociaux et recel », a révélé à l’AFP une source proche de l'enquête, confirmant une information du Canard enchaîné.
Dans un communiqué transmis à l'Agence France-Presse, Édouard Balladur, 88 ans, a annoncé avoir « demandé à ses avocats de contester cette décision devant la Cour de cassation », estimant qu'elle « ne tire aucune conséquence de la validation du compte de campagne par le Conseil constitutionnel en octobre 1995, non plus que de l'ancienneté des faits, vieux de vingt-trois ans ».
Le 8 mai 2002, une voiture piégée précipitée contre un bus transportant des salariés de la Direction des chantiers navals (DCN) explosait à Karachi, tuant quinze personnes dont onze employés français et en blessant douze autres. Tous travaillaient à la construction d'un des trois sous-marins Agosta vendus en 1994 au Pakistan par la France, sous le gouvernement Balladur.
Le rapport « Nautilus »
L'enquête terroriste a conduit à révéler l'affaire d'un financement occulte présumé au profit de la campagne d'Édouard Balladur pour la présidentielle de 1995. Une seconde enquête avait alors été ouverte sur ce volet financier en 2011. En juin 2014, la CJR, seule instance habilitée à juger des délits commis par des membres du gouvernement dans l'exercice de leur fonction, a été saisie pour enquêter sur le rôle joué par Édouard Balladur et son ministre de la Défense à l'époque, François Léotard.
Alors que la défense des deux hommes a tenté de faire jouer la prescription, la CJR leur a donné tort en septembre, estimant que le délai de prescription n'avait pas démarré en 1995 mais en 2006, date à laquelle la justice a eu connaissance du rapport « Nautilus ». Dans ce document, un ex-membre des services de renseignement estime que l'attentat avait été décidé en rétorsion à la décision du nouveau président Jacques Chirac de cesser le versement de commissions à des responsables pakistanais sur des contrats d'armement. Cette note évoquait des rétro-commissions pour financer la campagne d'Édouard Balladur.
« Scandale d'Etat »
Pour l’avocat des parties civiles, maître Olivier Morice, cette mise en examen vient confirmer les soupçons. « Je ne suis pas surpris, même si la saisine de la CJR date d’il y a maintenant presque trois ans. Lorsque nous avons déposé plainte dans le volet financier de l’affaire Karachi, nous savions que les éléments qui étaient en notre possession étaient extrêmement sérieux. Les parties civiles que je représente sont satisfaites de constater que le travail de la CJR avance. »
Maître Morice considère que c’est un pas de plus vers ce qu’il a toujours considéré comme un « scandale d’Etat » : « La mise en cause aujourd’hui d’Edouard Balladur démontre que ce que nous dénoncions à l’époque comme étant un scandale d’Etat s’avère de plus en plus constitué. C’est évidemment extrêmement grave sur le plan des principes. Mais, encore une fois, nous avions à l’époque des éléments qui nous permettaient de dire que nous étions confrontés à une affaire parfaitement scandaleuse. »