Des anciens d'iTélé lancent Explicite: «On est dans une logique inversée»

Le nouveau média créé par des anciens salariés de la chaîne iTélé se lance ce vendredi 20 janvier à l'occasion de l'investiture de Donald Trump à la Maison Blanche. Sa particularité : « Proposer des contenus journalistiques originaux directement sur les réseaux sociaux, comme Facebook, Twitter, YouTube ou Periscope ». Décrypter en misant sur le reportage et les directs interactifs. Entretien avec Olivier Ravanello, journaliste spécialiste de l'international, à la tête de l'association « Journalistes associés » qui porte le projet Explicite.

RFI : Sur la centaine de salariés qui ont démissionné d'iTélé après 31 jours de grève, 54 se sont associés au projet. Comment l’idée d’un média sur les réseaux sociaux a-t-elle mûri ?

Olivier Ravanello : Il y a deux choses : le fait qu'on ait déjà une rédaction constituée et opérationnelle. C'est assez inédit. Et le fait qu’on fasse de la télévision, mais qu’on n’ait plus de canal. Mais aujourd’hui, on n’a plus besoin de canal. On s’est tous mis à s’informer en regardant des contenus sur Twitter et sur Facebook. Si je regarde mon fils, qui cherche de l’information, il ne va pas devant la télé, sauf dans des moments extrêmes de très grosse actualité. Donc, de notre côté, on s’est dit : c’est là que la bataille de l’info est en train de se faire et il faut qu’on y participe, qu’on apporte notre modeste contribution. On n’est pas les seuls, toutes les rédactions se posent la question, et publient de plus de contenus sur les réseaux. Et on l’a vu ces derniers mois : les réseaux sociaux sont une porte ouverte à la désinformation, à la manipulation, à la propagande même, quand il y a une volonté politique derrière. Il y a donc urgence pour nous à investir cet espace.

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A iTélé, pendant l’élection de Donald Trump, vous étiez en grève et vous n’avez pas pu couvrir cet événement. Finalement, cette élection n’a-t-elle pas joué un rôle dans l’aventure Explicite ?

On sent bien qu’on est dans une période particulière, un moment politique qui nous dépasse. Quand on prend un peu de champ, on se dit que depuis deux ans c’est la tectonique des plaques : la montée du FN, de partis d’extrême droite en Europe, de mouvements très radicaux à l’extrême gauche qui s’imposent en Espagne, en Grèce, le Brexit, Trump bien sûr. En parallèle, il y a une distorsion de plus en plus forte entre la politique et les citoyens, entre les journalistes et les gens. Pourtant, ce n’est pas parce qu’il y a des critiques vis-à-vis des médias traditionnels que les gens ne veulent plus s’informer. La preuve, ils vont de plus en plus chercher cette information sur les réseaux. Tout cela prouve bien qu’il y a quelque chose dans la mécanique démocratique qui ne marche plus. Et on est tous obligés de se remettre en cause. Explicite, c’est aussi une manière de se remettre en cause et de proposer quelque chose de nouveau.

Vous êtes-vous inspirés d'autres médias, à l’étranger par exemple ?

Non, et on a fait les choses trop vite pour avoir eu le temps de regarder. Quand je dis qu’on est vraiment dans une logique inversée, c’est ça. C’est un élan, c’est une volonté, c’est une dynamique, c’est une intuition. On n’a pas fait d’étude de marché, on n’a pas fait d’analyse marketing et on n’a pas regardé les modèles qui marchent et qui ne marchent pas. On ne va pas marketer un produit pour ensuite le dévoiler et le vendre. On va petit à petit répondre à une attente d’information et le faire en créant une communauté autour de nous avec laquelle on va rentrer en dialogue parce qu’on veut faire de l’information au service des gens. Et ce ne sont pas simplement des mots en l’air. On veut essayer d’écouter plus les questions qui vont remonter : que ce soit ces interrogations qui déclenchent des reportages et pas seulement une décision dans une salle de rédaction entre deux rédacteurs en chef.

Est-ce que cette réflexion et ce projet sont aussi nés d'une réflexion ou de frustrations que vous aviez en tant que journalistes sur une chaîne d'information en continu ?

Non. A titre personnel, il m’est arrivé de faire avec Yahoo! - avec qui je collabore parfois - un live interactif, où l’on m’a posé des questions qu’on ne m’avait jamais posées et auxquelles je n’avais jamais répondu sur un plateau de télé. J’en suis sorti en me disant que c’était super. Parce que j’ai vraiment eu l’impression d’apporter une information qui était attendue. Dans une rédaction, on essaie de trouver un angle nouveau pour ne pas refaire toujours la même chose. Mais on se rend parfois compte que les gens ont envie qu’on reparle d’un sujet, parce qu’ils n’ont pas compris ou parce que votre papier aurait suscité de nouvelles questions. Et là on a vraiment l’impression de toucher du doigt une nouvelle façon de faire notre métier que je trouve fantastique.

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Est-ce qu’on peut imaginer à terme que le public d’Explicite puisse soumettre des idées de sujets, de reportages ?

On va essayer. Explicite a déjà créé une communauté forte : on a 30 000 followers sur Twitter, plus de 15 000 sur Facebook. Et ce sont des gens qui nous soutiennent simplement sur une démarche, on n’a encore publié aucun contenu. On fait avec les moyens du bord, qui sont minuscules pour l’instant, mais on veut être le plus possible à l’écoute de ce qui remonte. On a reçu des milliers de messages depuis lundi [la conférence de presse de présentation, ndlr]. Peut-être la lecture de ces messages va-t-elle faire émerger des problématiques éditoriales.

Vous vous lancez avec l’investiture de Donald Trump ce vendredi, puis avec le premier tour de la primaire à gauche dimanche. La politique, c’est un bon terrain pour un baptême ?

Oui, mais ce qui nous intéresse dans la politique, ce n’est pas la petit phrase qui répond à la phrase, ce n’est pas le jeu politique. C’est la politique. Expliquer vraiment ce qu'est le revenu universel par exemple. Un exercice que j’aimerais qu’on fasse aussi, c’est de prendre le programme des candidats et de le décrypter avec eux. Par exemple, un candidat propose de supprimer un million de fonctionnaires. Ok, mais où ? Quel service public va disparaître ? Et les économies faites, elles servent à quoi ? Etc.

Et ce format-là, il n’existe pas dans les médias actuels ?

Non, parce que cela implique de prendre du temps. Et puis je pense que ce format-là, à un instant T, ne va pas forcément réunir beaucoup de gens. Mais la chance incroyable avec les réseaux, c’est que ce contenu, si tant est qu’il ne soit pas périssable en trois heures, que vous soyez sur des questions de fond, c’est un contenu qui pourra être revu pendant plusieurs semaines, voire plus. Donc, en cumulé vous allez arriver à une audience assez forte. C’est là où le support nous donne une liberté.

Concrètement, comment allez-vous couvrir cette journée d'investiture américaine ?

A notre échelle on a déjà quelque chose de fantastique, puisqu'on a une équipe à Washington : un journaliste, un cadreur et une photographe. Et peut-être une deuxième équipe qui arrivera en renfort. On n’a pas les moyens, mais on y va, rien que ça c’est super. Pour le contenu, on n’est pas dans une logique de programme ou d’antenne. On n’est pas dans une logique de course pour être à l’heure dite à un endroit et raconter ce qui se passe à un instant T, et qui ne sera plus vrai une demi-heure après. On n’a plus cette contrainte. Et ce qui est fantastique c’est que via les réseaux, on va publier en français pour toute la Francophonie, dont l’Afrique. Ce sont des utilisateurs qui pourront nous interpeller sur des problématiques qui ne sont pas franco-françaises et donc enrichir la réflexion journalistique.

Vous l’avez dit lors de la conférence de presse lundi (voir vidéo), pour l'instant les journalistes sont bénévoles, et le modèle économique reste à préciser. Qu'avez-vous en tête ?

La stratégie qu’on imagine est la suivante : dans un premier temps, on crée un contenu dans une logique de déséquilibre économique puisque les gens travaillent gratuitement. Ce qui permet d’avoir une sorte d’échantillon. On va très vite lancer un crowdfunding, faire appel aux gens qui croient à ce modèle éditorial pour nous soutenir, et on va utiliser l’argent récolté pour une seule chose : fabriquer du contenu sans se payer. On espère qu’ainsi dans deux, trois ou quatre mois, on aura un produit qui commence à avoir du sens. Et puis ensuite on verra s’il y a des investisseurs que ça intéresse de rentrer dans ce projet, qui permet d'être présent dans les médias de demain avec un investissement 15 à 20 fois moins important qu’avec une télé classique (pas de plateau, tournages au smartphone, etc).

C’est un peu un laboratoire ?

Dans la manière dont on fonctionne, mais aussi dans la façon dont financièrement cette aventure se bâtit, on est dans un champ expérimental puisqu’on fait les choses à l’envers. Dans une logique classique, vous vous dites : je veux produire tant de contenu, ça veut dire qu’il me faut tant de journalistes, tant d’argent. Et puis j’espère avec ça arriver à toucher tant de personnes. Tout ça se fait au doigt mouillé. Nous, on voudrait essayer de faire l’inverse : j’ai aujourd’hui une communauté de 40 000 personnes, je vais lui proposer un contenu. Si en augmentant un petit peu la quantité de contenu que je propose, mettons en investissant un peu plus et en achetant trois sujets international par mois, je vois que d’un coup j’ai gagné encore 10 000 personnes, je vais réessayer en rachetant un peu de contenu. Et ainsi jusqu’à arriver à trouver un seuil critique entre les gens qui vous suivent, et qui sont donc des abonnés potentiels, et ce que vous fabriquez. Mais vous proportionnez à chaque fois vos investissements en fonction des gens qui vous suivent. Vous ne faites pas de pari.

Est-ce qu’on peut résumer le projet d’Explicite à un retour aux bases du journalisme mais avec un média - au sens d'intermédiaire - nouveau ?

C’est de revenir à la simplicité. Il y a une question, on essaie d’y répondre. Et quand j’ai une réponse je vous la délivre via un réseau qui vous permet d’être en relation avec moi immédiatement. C’est utiliser la simplicité pour faire tout sauf de la démagogie.

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