Budget de la Défense: rare débat public entre le chef des armées et Hollande

« Pas de guerre sans effort de guerre. » L'affaire fait grand bruit en France. Le chef d'état-major des armées, le général Pierre de Villiers, a demandé dans une tribune « une hausse progressive du budget de la Défense » pour atteindre les 2 % du PIB, contre 1,77 % actuellement. Le président de la République lui a opposé une fin de non-recevoir.

« Avec la rupture des années 2015 et 2016, nous avons changé d'époque. C'est "la fin de l'insouciance". La paix, désormais, ne va plus de soi ; il faut la conquérir ; s'extraire du piège dont les deux mâchoires sont le déni et la désespérance. » Ces mots, rares, sont ceux du chef d'état-major des armées françaises, Pierre de Villiers, évoquant notamment la lutte contre le terrorisme menée par Paris.

Dans une tribune publiée par le quotidien économique Les Echos, le général de Villiers fait par ailleurs le constat suivant : « Le retour des Etats puissances ne laisse plus place au doute. Aux portes de l'Europe, en Asie, au Proche et Moyen-Orient, de plus en plus d'Etats mettent en œuvre des stratégies qui reposent sur le rapport de force, voire le fait accompli ; tous réarment. »

La France doit donc en faire autant à ses yeux, c'est-à-dire augmenter son budget militaire. « L'actualisation de la loi de programmation militaire 2014-2019 a marqué une première étape en mettant un terme inédit à la tendance baissière des 35 dernières années », observe-t-il, louant « le volontarisme du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian », artisan dit-il de « cette stabilisation, devenue indispensable ».

Sauf que cela ne suffit pas à ses yeux. « Désormais, pour les armées, cet effort doit se traduire par une hausse progressive du budget de la Défense pour rejoindre la cible de 2 % du PIB, avant la fin du prochain quinquennat », plaide le chef d'état-major, qui précise qu'il s'agit là d'un « engagement international de la France et de ses partenaires de l'Otan », qui « ne pourra être ni allégé ni reporté ».

« Nous avons aujourd’hui les ressources nécessaires par rapport à nos objectifs »

En clair, le général de Villiers appelle à voter une nouvelle loi de programmation militaire, et demande à l'équipe actuellement au pouvoir de préparer un budget 2018 permettant dès maintenant aux armées de remonter en puissance. François Hollande n'a pas tardé à répondre, depuis le perron de l'Elysée ce mercredi 21 décembre.

« Le budget de la Défense a déjà été augmenté tout au long du quinquennat. La loi de programmation militaire a été révisée à la hausse. Aucune loi de programmation militaire sous la Ve République n’avait été révisée à la hausse. Toutes avaient été mises en cause et donc abaissées quant aux objectifs qui avaient été assignés », rappelle le président de la République.

« C’est une responsabilité que j’ai prise avec les Premiers ministres successifs : faire que nos armées puissent être dotées des moyens indispensables pour assurer nos missions à l’extérieur - celles que j’ai moi-même décidées - ; pour assurer la protection des Français à l’intérieur, notamment l’opération Sentinelle ; et faire en sorte que nous puisons avoir une force de dissuasion qui soit crédible », plaide le chef de l'Etat.

Et François Hollande de conclure en donnant sa position sur le sujet : « Nous avons aujourd’hui les ressources nécessaires par rapport à nos objectifs, mais il y aura encore dans les prochaines années à faire des efforts supplémentaires. » Comprendre que le président estime avoir rempli sa part de l'effort et renvoie le sujet à son successeur, qui arrivera en mai 2017.

« Il y a un vrai rappel des obligations du politique dans cette tribune »

Pour Frédéric Coste, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), le chef d'état-major, dont la prise de parole est très inhabituelle, a d'ailleurs bien choisi son moment pour s'exprimer, puisqu'en ce faisant il impulse précisément pour que les enjeux de défense fassent pleinement partie du débat en vue du prochain scrutin présidentiel.

La tribune « sort entre les primaires de la droite et les primaires de la gauche, donc il y a très, très clairement un objectif qui est celui, sans doute, d’interpeller les politiques quel que soit leur bord. Et d’ailleurs, le chef d’état-major rappelle l’impératif de responsabilité du personnel politique. Donc, il y a un vrai rappel des obligations du politique dans cette tribune », estime-t-il.

« Le tempo est extrêmement bien choisi. La période de réserve va s’ouvrir bientôt, elle va obliger le chef d’état-major des armées à être beaucoup plus discret. Et il s’agit de prendre date pour lui avec les différents candidats à la présidentielle », confirme Cyrille Bret, maître de conférence à Sciences Po.

« On peut penser qu’au vu du débat qui s’engage, de la prégnance des menaces internationales, les différents candidats vont être obligés de tenir compte de ce double impératif, exercer les prérogatives régaliennes à l’intérieur et à l’extérieur du pays et maintenir une maîtrise des finances publiques », anticipe déjà le chercheur. Ne reste plus qu'à vérifier si lesdits candidats saisiront la balle au bond, au dépit de ce que le général de Villiers appelle « la complexité de l'équation budgétaire étatique prévisionnelle ».

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