Comme l'avaient prédit les syndicats, les opposants à la loi Travail sont venus nombreux manifester à Paris. Dans une ambiance de pétards, de klaxons et de fumigènes, ils étaient entre 75 000 et 80 000 personnes à défiler de la place d'Italie aux Invalides, selon la préfecture. Selon trois syndicats organisateurs (CGT, FO et Solidaires) interrogés par l’AFP, ils étaient un million à réclamer le retrait d’un texte qu’ils jugent trop favorable aux entreprises et facteur de « régression sociale ». Il s'agissait de la neuvième manifestation depuis début mars.
« Ça montre bien que ça ne s'essouffle pas et que c'est au gouvernement de choisir, souligne Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière. Où il veut rester droit dans ses bottes, néolibéral, antirépublicain et il continue. Ou il prend conscience que son projet de loi est ultraminoritaire chez les syndicats et il revient à la raison. Mais ou il multiplie les cartons rouges ou il va aux pénalties et il gagne. »
Bernadette Groison, numéro un de la FSU espère que cette mobilisation fera bouger le gouvernement. « Ce que nous espérons, c'est qu'à l'issue de cette manifestation, le gouvernement va enfin entendre ce qu'on lui propose depuis des mois, c'est-à-dire remettre tous les partenaires autour de la table et rediscuter. Nous n'arrivons pas à comprendre que lui qui prône le dialogue social depuis des années veuille passer contre l'avis majoritaire des associations syndicales et contre l'opinion », explique-t-elle.
Vitrines brisées
Peu après le départ de la manifestation, « plusieurs centaines de personnes encagoulées » ont pris à partie les forces de l’ordre avec des jets de projectiles. Le mode opératoire est toujours le même. Des jeunes déterminés s'infiltrent à l'avant du cortège. Parmi eux, des étudiants, des lycéens, mais aussi des membres des Black Bloc, un groupe d'activistes international.
C'est le cas de ce jeune d'une trentaine d'années. « C'était prévu qu'on passe devant les syndicats et qu'on pousse les forces de l'ordre, explique-t-il. Le bitume a été cassé pour pouvoir répondre aux forces de l'ordre qui elles, nous gazaient à coup de flashball et de grenades de désencerclement et de grenades lacrymogènes. On a des marteaux, on a des haches pour casser le bitume. Sinon on se sert du mobilier urbain. On est préparé, on connaît leur technique maintenant. »
Très vite l'avant de la manifestation s'est transformé en bataille rangée entre policiers et éléments violents. Des commerces, vitrines et restaurants ont également été la cible de projectiles, notamment autour du quartier Montparnasse. La façade en verre de l'hôpital Necker a été caillassée. La police a eu recours à un canon à eau pour disperser la foule près de la station de métro Duroc. Mais dans la soirée, après la manifestation, trois voitures ont été incendiées, selon la préfecture de police.
Plusieurs dizaines de personnes ont été interpellées et au moins 11 manifestants et 29 membres des forces de l’ordre ont été blessés, selon la préfecture de police.
Mais beaucoup de manifestants disent comprendre ces actions. « Cette jeunesse, elle en a assez et elle se révolte, réagit Christophe Jaillet, délégué syndical CGT. La société les rejette, ne leur fait pas de place. Ils sont parfois dans le dénuement, donc ils n'ont rien à perdre et ils manifestent violemment leur colère à cette société vieillie. »
Cortèges en régions
De nombreux rassemblements ont également eu lieu dans d'autres villes du pays. A Lyon, 3 800 personnes ont manifesté selon la préfecture, 9 000 selon la CGT. Ils étaient 1 900 à Rennes selon la préfecture, 5 000 selon les syndicats. Entre 6 000 et 30 000 personnes ont défilé à Toulouse. Et à Marseille, 5 000 personnes ont défilé selon la police, tandis que la CGT a compté environ 140 000 manifestants.
Au total, au moins 125 000 manifestants ont donc défilé mardi en France, selon les autorités. Deux autres journées de grève et de manifestation sont déjà prévues pour les 23 et 28 juin.
■ Article 2: principal objet des tensions
La loi Travail est actuellement en débat au Sénat. C’est surtout l’article 2 qui cristallise les tensions, en faisant primer l’accord d’entreprise sur la branche. Le Premier ministre Manuel Valls a assuré le lundi 13 juin que cet article « ne sera pas changé ». Que prévoit cet article 2 ? Il vise à faire primer l’accord d’entreprise, sur l’accord de branche. Il inverse donc la hiérarchie des normes sociales.
L’article 2 s’étale sur une soixantaine de pages. Son objectif : donner plus de souplesse, aux employeurs sur l’organisation du travail, au sein des entreprises. Ils pourront ainsi négocier des conditions moins favorables que celles fixées par la branche, notamment en matière de durée de travail ou d’heures supplémentaires. Avec l’article 2, une PME pourra par exemple négocier la bonification des heures supplémentaires à un taux inférieur à celui qui est inscrit dans l’accord de branche.
Pour ses défenseurs, cette disposition va permettre de créer plus de souplesse en encourageant le dialogue social. Mais pour ses opposants, donner la priorité à l’entreprise plutôt qu’à la branche permettra à chaque employeur de faire sa loi dans l’entreprise.
Face à la contestation, le gouvernement a choisi la fermeté. D’autres députés socialistes souhaitent des aménagements de cet article 2. Et notamment la reconnaissance d’une sorte de droit de veto aux branches sur les accords d’entreprise.