Centre Pompidou: L’Apocalypse selon Melik Ohanian

Couronné par le Prix Marcel Duchamp, l’une des plus prestigieuses récompenses pour un artiste contemporain français, Melik Ohanian ouvre ce mercredi 1er juin son exposition « Under Shadows » au Centre Pompidou de Paris. L’artiste, né en France en 1969, vit entre la capitale française et New York et adore faire éclater dans ses œuvres le temps et l’espace.

Cinq œuvres plongées dans la pénombre, au cœur du Centre Pompidou. Une ambiance noir et blanc, abstraite, mystérieuse. Un polar artistique rythmé par l’œuvre Gradient, 80 ampoules qui s’allument et s’éteignent, entre l’ombre et le néant. Avec Melik Ohanian, l’art science-fiction commence ici et maintenant.

Entre science et poésie

Au centre du dispositif, Modelling Poetry, une installation monumentale : un miroir hémisphérique géant suspendu au-dessus d’un écran LED de 25 mètres carrés mis à plat. Sur son terrain artistique, Melik Ohanian met en scène une collision entre la Voie lactée et la galaxie d’Andromède. Une apocalypse prévue par les experts de la Nasa dans 4 milliards d’années.

« C’est une image impossible à représenter. Alors, j’ai décidé de produire un algorithme qui prend en compte – en temps réel - le comportement réel des étoiles et du cosmos. Vous pouvez suivre la collision entre la Voie lactée et la galaxie d’Andromède à travers les pixels de l’écran LED et à travers l’image reflétée sur le miroir hémisphérique. Finalement, on arrive à voir une représentation de cette lente collision : on voit deux galaxies qui s’approchent très lentement. Au bout d’un moment, elles produisent une seule et même galaxie. »

Entre calculs mathématiques et astrophysiques, Melik Ohanian plante sa graine d’intuition artistique. Ses projets dépassent souvent l’aspect matériel de l’œuvre. À l’image des Réverbères de la Mémoire prévus à Genève, un mémorial du génocide arménien constitué de neuf réverbères de près de dix mètres de haut avec une tige portant une « larme » en inox. Lancée en 2011, mais contestée par les autorités turques, l’œuvre de Melik Ohanian n’a toujours pas vu le jour.

Le temps, l’espace et la mémoire

Né en 1969 à Lyon, d’un père photographe d’origine arménienne, Melik Ohanian a placé le temps, l’espace et la mémoire au centre de sa pensée. En 2001, il voyage sur une île apparue au large de l’Islande. À la Biennale de São Paulo 2004, l’artiste déclenche sur sept écrans le compte à rebours des dernières sept minutes avant l’avènement d’un accident. Depuis 2005, son Datcha Project invite des personnes de cultures différentes dans un village arménien avec l’obligation de présenter les résultats du séjour à l'issue d'un délai minimum de cinq ans. Et son œuvre Stuttering (2014) esquisse une géographie des mémoires pour questionner notre monde.

Dans Under Shadows, Malek Ohanian expose au Centre Pompidou le temps capté. Soixante photographies en noir et blanc composent un portrait de la seconde universelle à partir du Césium 133, élément chimique utilisé pour les horloges atomiques. Le résultat de ce Portrait of Duration – Cesium Series ressemble un peu aux créations à l’issue du rituel magique du plomb fondu dans de l’eau ou à la tentative de lire l’avenir dans le marc de café.

Lire l’avenir

« C’est un peu plus complexe que cela, s’amuse Melik Ohanian. J’essaie d’établir, de manière conceptuelle, une relation entre la représentation et ce qui définit le temps et le référent du temps, le Césium 133. Depuis 1958, le Césium 133 est la référence de la seconde dans les horloges atomiques. Cela a permis le temps universel coordonné. Dans l’exposition, on se retrouve face à deux installations : Portrait of Duration, ce sont sept photographies dans des caissons lumineux. La pièce n’est visible qu’une seule et même seconde. On observe la décomposition du Césium de l’état solide à l’état liquide en une seconde. Et puis, il y a Cesium Series, 60 photographies extraites de cette expérience. C’est une perception quasiment tautologique de la photographie. La photographie recherchant à ’’geler’’ le temps, gèle le temps même de la matière qui le définit. Effectivement, on peut commencer à regarder cela comme on regarde le fond d’une tasse à café orientale (rires). »

Et comme ce gris neutre sur les murs faisant référence au gris qu’on utilise pour calibrer les appareils photographiques, pour Melik Ohanian, ses œuvres sont juste un prétexte pour aiguiser notre regard : « Je considère cet espace plus comme un contexte qu’une exposition, dans lequel on appréhende les dimensions plutôt que les œuvres. Chaque œuvre est une aventure, mais chaque œuvre produite dans l’ensemble de mon travail est toujours un jalon dans l’ensemble d’une pensée. C’est vrai, je considère plutôt l’ensemble de mon travail que chaque pièce en elle-même. »

Melik Ohanian, Prix Marcel Duchamp 2015, Under Shadows, du 1er juin au 15 août au Centre Pompidou-Paris

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