« Mud guys, quel est votre métier ? ». « La boue, la boue, la boue ! » « Et qu’est-ce que vous mangez ? » « D’la boue, d’la boue, d’la boue ! ». Tels des bleus du défunt service militaire répondant aux injonctions de deux adjudants-chefs survoltés derrière leur micro, ils sont 400 à scander « d’la boue ! » à tue-tête dans l’enclos où ils sont parqués, juste avant la ligne de départ du Mud Day, sur le camp militaire de Frileuse à Beynes, près de Plaisir, dans les Yvelines. Du plaisir justement, ils sont là pour en prendre car, contrairement aux apparences, rien à voir ici avec les obligations soldatesques. Le Mud Day (Jour de Boue traduit littéralement), c’est avant tout pour s’amuser, sans ordres auxquels obéir ni pression du résultat.
Inspiré de la Tough Guy Competition née au Royaume-Uni en 1987, le Mud Day est devenu, en seulement quatre ans d’existence, la plus importante course à obstacles du monde en terme du nombre de participants : plus de 25 000 ce week-end (jeudi, samedi et dimanche; Ndlr) pour l’étape parisienne de cette épreuve qui en compte sept autres – pour 90 000 participants au total – sur le territoire français entre les mois d’avril et d’octobre (1). Les raisons de ce succès ? D’abord l’expertise de son organisateur, le groupe ASO (Amaury Sport Organisation), société qui sait y faire en termes d’événements sportifs puisqu’elle compte également à son actif des mastodontes comme le marathon et le semi-marathon de Paris, le Tour de France cycliste ou le rallye Dakar.
Le plaisir avant tout
« La première année, on pensait avoir 4 000 participants et on en a eu 13 000. Depuis, on n’a cessé de croître » confirme Pascal Quatrehomme, le directeur du Mud Day, 18 ans de présence chez ASO. Descendu de son VTT sourire aux lèvres, Pascal est ravi que la météo estivale de ce jeudi de l’Ascension donne à son événement un parfum encore plus convivial.
« Par rapport aux autres épreuves que nous organisons et qui sont très ‘compétition’ très ‘professionnel’, embraye-t-il, il y a moins de pression. Là, poursuit-il, c’est jeune, fun, festif. Il n’y a pas de classement, ni de recherche de résultat : les participants partent par vagues successives de 400 personnes toutes les 20 mn pour qu’il n’y ait pas de bousculade. Et ils sont là pour s’éclater, pour rigoler, avec des amis. Il y a de la pratique sportive, de la solidarité, donc tous les ingrédients pour que, nous, les organisateurs, on prenne un énorme plaisir à organiser cet événement ».
- en un clic : le site du Mud Day
Cette notion de plaisir, on la retrouve effectivement tout au long du tracé : 13 kilomètres d’un parcours très vallonné et jalonné au total de 22 obstacles dont certains empruntés directement au répertoire militaire du parcours du combattant. On rampe, on grimpe, on court, on se suspend, on se mouille et parfois – c’est le Mud Day – on tombe dans la boue. « Ça a été dur, un calvaire même. Il faut dire que je ne fais pas de sport, je fais de la compta », sourit Ali, pas encore 30 ans et bien content d’en avoir terminé. Mis au défi par une collègue de travail qui avait fait le Mud Day 2015, il s’est inscrit avec son copain Romain. Bien que fourbu, Ali ne regrette rien. « Il y a des gens qui surveillent les obstacles. On les a tous passés. Mais le plus dur, ce n’est pas les obstacles. C’est le terrain ! C’est accidenté, ça monte et ça descend tout le temps, ça casse les jambes. J’ai couru mais seulement sur le plat, avoue-t-il.Heureusement, il n’y avait pas trop de boue sinon on aurait galéré ».
L'impact des réseaux sociaux
Si Ali et Romain ont relevé le défi, ils ont perdu leur pari de finir en moins d’1h35. Pour 3 petites minutes.« L’an prochain, jurent-ils, si on le refait, on s’entraînera en forêt ». Après avoir déboursé chacun 70 euros (plus on s’inscrit tard, plus c’est cher), ils repartent avec leur récompense : une dog tag gravée (la traditionnelle plaque militaire portée au cou par les soldats américains) et un T-shirt avec l’inscription Mud Day, T-shirt dont la couleur – noir en l’occurrence – a été choisie par les participants qui ont voté sur internet. « On utilise beaucoup les réseaux sociaux » confirme Pascal Quatrehomme qui annonce 280 000 fans sur Facebook, 4 600 followers sur Twitter et 8 500 abonnés sur Instagram. « Les internautes, renchérit-il, ont aussi voté pour le nom des obstacles, pour la musique qu’on y passe et même pour la température de l’eau du bac à glace : 1,75 degré pas plus. Un cadeau des provinciaux aux Parisiens ! ».
Prétexte à toutes sortes de déguisements (v. le diaporama ci-dessous), le Mud Day rassemble effectivement un public assez jeune : 29 ans de moyenne d’âge contre 41 ans par exemple au marathon de Paris. « L’intérêt, explique l'énergique Pascal , c’est que c’est ouvert à tout le monde. On a par exemple des marathoniens ou des semi-marathoniens qui, pour une fois, participent à une épreuve avec des membres de leur famille qui n’ont pas forcément le même niveau sportif mais qui peuvent faire les 13 km tranquillement, ensemble ». « D’ailleurs, poursuit-il, il y a des obstacles que certains ne pourront pas franchir tout seuls. C’est pour ça que 95% des participants sont en équipe de quatre et non pas en solo. Finalement, philosophe-t-il, c’est comme la vie : il y a des obstacles et on arrive mieux à les franchir quand on est bien entouré ».
Ils en ont pour leur argent
Âgé entre 26 et 30 ans, le quatuor formé de Cédric, Devy, Mathias et Vincent répond tout à fait à ce profil. Coureurs du dimanche comme ils se définissent, ils se sont inscrits ensemble, sont partis ensemble et franchissent aussi ensemble, côte à côte, la ligne d’arrivée.
« On était plutôt sur ces courses classiques », explique Mathias. « Le Mud Day, c’était intéressant, on avait vu des vidéos et des potes à nous l’ont fait. On trouvait ça sympa et on voulait le faire ». « En plus, se réjouit ce Parisien, aujourd’hui il fait beau et chaud, donc c’est cool. On ne regrette pas. Ça ne nous dérange pas qu’il n’y ait pas de classement, on passe un bon moment, c’est le principal. Et puis maintenant, conclut-il, avec les montres hi-tech, on peut suivre nos performances ».
« Par rapport à un semi-marathon, rien à voir, on ne termine pas épuisés », enchaîne Devy (Devy avec un 'e' a-t-il insisté ...). « Treize kilomètres si on les fait d’une traite en courant, on va arriver un peu fatigués parce qu’on se sera donné. Mais là, il y a les obstacles qui coupent et ça fait travailler des groupes de muscles différents. Donc la fatigue n’est pas totale » précise-t-il. « Après, c’est vrai que ça coûte assez cher : 70 euros chacun. Mais bon, c’est quand même une course assez emblématique et on a la satisfaction d’avoir terminé ! C’est vrai qu’on a donné nos euros pour « en chier » entre guillemets mais ça les vaut. On ne les regrette pas ! ». S’ils ont payé, c’est pour en ...suer, donc. Et avec le sourire, en prime. Le Mud Day, n'en doutons pas, est là pour durer.
(1) Aix-en-Provence, Saint-Cyr-Coëtquidan, Amnéville, Lyon, Cabourg et Bordeaux