Sous-marins australiens: les dessous d’un méga-contrat de 34 milliards d'euros

Le groupe français DCNS a remporté face à ses concurrents allemands et japonais un méga-contrat pour le rééquipement de la marine Australienne. Un programme de 34 milliards d'euros au total pour construire la prochaine génération de sous-marins australiens. Mais ce méga-contrat reste à finaliser, la signature est prévue à la fin de cette année ou début 2017.

La France n’était pas donnée gagnante. C’est longtemps le Japon qui a fait la course en tête avec ses sous-marins de la classe Soryu. Les Allemands, premiers exportateurs mondiaux de submersible à propulsion diesel-électrique avaient quant à eux menés une campagne très agressive pour remporter ce contrat.

En novembre 2014, après une visite en Australie de Jean-Yves Le Drian, les équipes de DCNS et du ministère français de la Défense reviennent en France « convaincues qu'il y a un coup à jouer en Australie » rappelle l’entourage du ministre.

Début 2015, une compétition est lancée entre les trois industriels sélectionnés : Mitsubishi, ThyssenKrupp-Marine et DCNS. « Nous ne pensions pouvoir l’emporter face aux Japonais, on pensait aussi que les Américains poussaient en faveur du Japon (…) mais on se disait que l’industrie française devait s’aligner afin de proposer une alternative évidente en cas d’échec du programme japonais (…) Au départ les Australiens avaient fait savoir qu’ils prendraient l’offre la moins chère, quitte à ce que la totalité des sous-marins soient produits à l’étranger ».

Cette prise de position a fait couler beaucoup d’encre en Australie, car pour beaucoup, il fallait avant tout que l’industrie australienne puisse bénéficier de l’investissement colossal que l’Etat s’apprêtait à consentir. DCNS a donc proposé quelque chose d'ambitieux, un sous-marin « classique » dérivé du SNA « Barracuda » en cour de fabrication en France, avec un « fort contenu » fabriqué localement.

Une équipe industrielle et étatique soudée et discrète

DCNS va également s’appuyer sur les autorités françaises pour l’emporter : « un programme de 12 sous-marins océaniques de 4000t, le plus vaste programme de défense jamais lancé en Australie, qui va vouloir asseoir sa souveraineté maritime sur le long terme, avec en engagement de l’Etat français au plus niveau » rappelle Hervé Guillou, le patron de DCNS.

Dans les offres qui sont remises fin 2015, il y a un volet « étatique » dans lequel Paris offre sa coopération dans tout ce qui touche le domaine des sous-marins. La marine française pourrait donc accompagner la mise en service et la formation des marins australiens.

« Les Australiens connaissent le niveau de notre marine, une frégate australienne est même intégrée au sein du groupe aéronaval français dans les opérations dans le Golfe persique, et ils savent que nous sommes une véritable marine océanique, déployée sur toutes les mers du globe. Les Japonais et surtout les Allemands qui patrouillent surtout en Mer Baltique, le long de leurs côtes, ne peuvent pas faire valoir ces arguments », assure un proche du ministre.

La marine australienne souhaite clairement se doter d’un navire capable d’opérer à grandes distances « Il doit pouvoir franchir 10 000 nautiques en plongée, on parle d’un mois de navigation sur les batteries, c’est énorme ! C’est pour cela qu’il fait 4000 t pour emporter le fuel et l’alimentation électrique nécessaire » explique le journaliste Vincent Groizeleau du site internet spécialisé Mer et Marine.

Côté ministère français de la Défense, on ne commente pas les spécifications militaires formulées par la marine australienne. « Il s’agit de données classifiées, mais si on regarde une carte on voit bien que les zones d’intérêts pour les Australiens sont situées à des milliers de kilomètres de leur port d’attache de Perth » confie-t-on.

Assistance technique dès la conception

Dans le domaine technique, la DGA, l'agence nationale des programmes d'armement en France, propose d'aider les Australiens à « qualifier » leur nouveau sous-marin. « Il s’agit d’avoir une vision d’ensemble du programme, de tester le nouveau sous-marin, et d’être sûr qu'il correspond bien à ceux qu'ils ont demandé, puisqu'aujourd'hui encore il ne s'agit que d'un sous-marin virtuel » note un expert.

En effet, il y a un risque pour la marine australienne à choisir un produit qui n’existe pas encore. Le « Shortfin Barracuda » est aujourd’hui un sous-marin en projet. Le premier SNA « Barracuda » est en cour de construction à Cherbourg, mais ne sera pas mis à l’eau avant 2017, la version australienne à propulsion dite « hybride » reste à fabriquer et il faudra encore compter 10 ans d’études et de développement pour la voir naviguer.

Négociation exclusive : la dernière ligne droite

Au ministère de la Défense à Paris, on reconnait qu’il reste des points à régler concernant le « partage du travail », entre DCNS en France et les chantiers ACS à Adélaïde dans le sud de l’ Australie. Les plaquettes publicitaires du DCNS annoncent la couleur : « 2 900 jobs, why France and Adelaïde are stronger together » (« 2 900 emplois, pourquoi la France et Adélaïde sont plus forts ensemble ») peut-on lire en première page.

En France, ce sont 4000 emplois qui seraient concernés, surtout dans les bureaux d’études. Emplois maintenus ou créés, précise-t-on au sein du groupe industriel. « Nous avons été sélectionnés pour entrer en négociations exclusives, et à partir de maintenant nous allons négocier le contrat en lui-même, et en cela le partage des activités entre ce qui reviendra à la France et ce qui reviendra à l’Australie sera précisé » assure Marie-Pierre Baillancourt, directrice adjointe de DCNS

Partage avec l’industrie américaine

Sur les 34 milliards d'euros investis par l'Etat australien dans le programme de sous-marin, seuls 8 reviendraient à DCNS selon une source proche du dossier. Une autre part non négligeable du contrat reviendra aux Etats-Unis. « Environ 30% de la valeur du contrat » dit-on à la Défense à Paris. Les Australiens ont en effet décidé d’utiliser un système d'arme américain sur leurs nouveaux submersibles. « Il n’y aura pas d’armes françaises à bord » confirme-t-on dans l’entourage du ministre Jean-Yves Le Drian.

Le SNA « Barracuda » est pourtant dessiné pour emporter des missiles de croisière (MDCN) utilisables depuis les tubes lance-torpilles. Il faudra donc vraisemblablement adapter le système américain « Tomahawk » afin que le bâtiment puisse mener des actions offensives vers des objectifs à terre. Une compétition séparée aura lieu pour départager Raytheon System de Lockheed-Martin, deux géants de l’industrie de défense nord-américaine. Le groupe français Thalès, très bien implanté en Australie, pourrait tout de même « monter à bord » en fournissant le sonar du sous-marin.

Retour de houle ?

De source industrielle, on indiquait ce mardi que la procédure de sélection a été « accélérée » avant les élections législatives anticipées prévues en juillet. Initialement l’annonce était attendue pour le mois de juin, mais pour l'ambassadeur de France en Australie, Christophe Lecourtier, qui a joué un rôle actif dans la négociation, rien ne devrait changer : « le parti d’opposition a dit qu’à partir du moment où le processus de concurrence était jugé correct, il ne remettrait pas en cause cette décision, car cela reviendrait à affaiblir les capacités de défense du pays ; c’est un programme dont on parle depuis longtemps, en Australie, et dans les premières déclarations de l’opposition, rien n’a été mentionné concernant une remise en cause de ce programme ».

Signature du contrat espérée d'ici la fin de l'année, voire début 2017, pour une mise en service au plus tôt en 2027.

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