Des odeurs de cuisine envahissent l’air glacial de cette mi-janvier. Il est midi et les assiettes de pâtes à la bolognaise s'étalent sur la grande table de la salle à manger au gré des allées et venues. Au déjeuner ce lundi, quelques uns des seize jeunes hommes, treize Soudanais originaires pour la plupart du Darfour, et trois Afghans.
Depuis le 18 novembre dernier, ils vivent dans un ancien centre d’hébergement pour personnes âgées. A deux ou trois par chambre, la petite communauté s’organise, entre le nettoyage des sanitaires, les machines à laver à faire tourner à plein régime, les vaisselles etc. Quant aux repas, ils arrivent directement de la maison de retraite qui jouxte le centre. Une scène de vie ordinaire qui se déroule dans une ambiance bon enfant.
Ces « étrangers » sont à Pleyber-Christ, un village de quelque 3 000 âmes typiquement breton où, petite commune oblige, les activités manquent pour ces jeunes âgés de 18 à 25 ans. Et les transports aussi. Sur le pas de la porte principale, un amoncèlement de vélos donnés par les riverains leur permettent de partir à la découverte du bourg et de ses habitants. C’est une réelle épreuve d’apprivoisement, d’autant qu’ici, rares sont ceux qui parlent anglais, et encore moins arabe.
Mais tous sont d’une motivation telle que la majorité d’entre eux comprend déjà plus ou moins bien le français, voire le parlent. Plusieurs fois par semaine, des bénévoles leur dispensent des cours de langue.
Feuilletant L’Equipe autour d’un verre de thé ou de café, certains décryptent les titres du quotidien sportif pendant que d’autres commentent avec passion et fougue les derniers résultats des matchs de foot du week-end. Le sport étant l’un de leurs loisirs favoris, les jeunes migrants, quand ils ne sont pas dans la salle de télé ou sur internet, jouent au foot en salle, font du footing, du vélo, etc. Certains partent aussi voir la mer, visiter Morlaix et ses alentours quand d’autres s’attèlent à participer aux animations communales.
Pleyber-Christ, une ville « volontaire »
En septembre dernier, cette petite commune du Finistère, aux pieds des monts d’Arrée, a répondu à l’appel du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. En pleine crise migratoire, la France s’engage alors à recevoir 24 000 réfugiés sur deux ans, dont mille dans l’immédiat, et à entreprendre un désengorgement de Calais.
Dès lors, le ministre demande aux villes de se porter volontaires pour héberger des migrants. Dans ce département du « bout du monde », plusieurs communes s'étaient portées candidates dès septembre pour en accueillir. Pour l’heure, c’est à Fouesnant, dans le Finistère-sud, et à Pleyber-Christ, dans le Finistère-nord, que les capacités d’hébergement ont été jugées suffisantes pour recevoir les réfugiés. D’autres villes finistériennes se sont portées candidates pour participer au plan d’accueil de familles de migrants syriens dans les mois prochains.
Les seize jeunes hommes, dont les histoires sont tristement semblables à celles des milliers de migrants réfugiés en Europe, n’ont ainsi pas choisi d’atterrir en Bretagne. A Calais, des cars se remplissaient pour différentes destinations. Les treize Soudanais qui vivaient dans cette jungle se côtoyaient déjà pour la plupart et c’est donc ensemble qu’ils sont montés dans le bus pour Pleyber-Christ.
La surprise des habitants
Leur arrivée a malheureusement coïncidé avec les attentats du 13 novembre, ce qui a compliqué leur intégration. Des jihadistes arriveraient-ils à Pleyber-Christ ? Les amalgames et les rumeurs sur ces « gens venus d’ailleurs » vont bon train, et toujours plus rapidement dans les villages, d’autant que deux conseillères municipales ont démissionné après les attentats de Paris et se sont brutalement désolidarisées de la démarche, « ce qui n’a pas facilité la chose, ni l’acceptation par la commune », raconte Julien Kerguillec, conseiller municipal. Le 23 janvier encore, à Quimper, un rassemblement anti-migrants a eu lieu, alimentant des rumeurs « totalement infondées », précise le conseiller municipal.
Ainsi, les propos racistes, forgés par la peur de l’étranger, ont parfois terni l’accueil chaleureux qui leur a pourtant été offert. Accusés de mendier devant l’église du bourg, de voler dans les épiceries, les premiers moments des migrants n’ont pas été simples à Pleyber-Christ. Certains allant jusqu’à critiquer le fait qu’il n’y ait que des hommes, d’autre à dénoncer le coût de cet accueil pour leur commune. Pourtant, c’est l’Etat français qui alloue à la commune une enveloppe de 25 euros par jour et par personne et l’accueil des migrants ne coûte rien aux habitants. « Il n’y a que de l’enrichissement humain », témoigne Julien Kerguillec.
Aujourd’hui, ces migrants qui ont renoncé à se rendre de l’autre côté de la Manche attendent d’obtenir le statut de réfugiés politiques. Ils sont aidés dans leurs démarches administratives par l’association Coallia et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Certains envisagent déjà de rester vivre à Pleyber-Christ où ils se disent tout simplement « heureux ». Il faut dire que dès leur arrivée, le maire les a considérés « comme des nouveaux Pleybériens, tout simplement ».
Deux mois après l’installation des jeunes hommes à Pleyber-Christ, les riverains ont appris à vivre à leurs côtés. « Les retours que nous avons sont positifs, se félicite le jeune conseiller municipal, et pas seulement dans le bourg. L’initiative de Pleyber-Christ est saluée dans une grande partie du pays de Morlaix et beaucoup estiment que notre démarche est très courageuse. Une vraie dynamique est aujourd’hui en place entre les migrants et les locaux. »
En début de semaine, deux des seize jeunes hommes ont quitté Pleyber-Christ pour un placement en Cada (centre d'accueil des demandeurs d'asile) à Brest. Un départ qu’ils n’ont pas choisi puisque l’annonce, brutale, a été faite seulement trois jours auparavant par l’OFII. Un déchirement pour tous les Pleybériens natifs de la commune comme pour les nouveaux adoptés.