France: le projet de réforme de la Constitution éclipsé par les couacs

Le projet de loi de révision de la Constitution est présenté ce mercredi matin en conseil des ministres. Il vise à inscrire dans la loi fondamentale l’état d’urgence. Mais tout ceci est éclipsé par une polémique sur la disparition de la déchéance de nationalité pour les binationaux accusés de terrorisme. Avec une conférence de presse en grand apparat pour tenter de sauver les apparences, l’exécutif espérait sans doute mieux pour finir l’année. Ce mardi, Manuel Valls prendra la parole dans le jardin d’hiver de l’Elysée, un lieu jusqu’ici réservé au grand texte du quinquennat : loi Macron, loi Renseignement...

Après le tournant social-démocrate du quinquennat, peut-on dire que ce texte déjà controversé officialise le deuxième virage du mandat de François Hollande, cette fois sécuritaire ? En tout cas, François Hollande a endossé immédiatement, en novembre comme en janvier après les attentats, son costume de président martial. La Garde républicaine sabre au clair, il a le visage grave quand il parcourt le long couloir du palais de Versailles, ce 16 novembre 2015, moins de trois jours après les attaques meurtrières à Paris.

François Hollande s’adresse au parlement réuni. Quarante minutes de discours, une fermeté tous azimuts, et des annonces inattendues : garde nationale, réserve de l'armée, des postes supplémentaires dans la sécurité... François Hollande reprend des propositions faites par tous les partis politiques… y compris la droite et le FN comme la déchéance de nationalité même pour les binationaux nés français condamnés pour terrorisme.

Une surprise, mais depuis des mois, dès l’après-attentats de janvier, au sommet de l’Etat, on avait déjà cette question en tête : que faire si des attentats se reproduisent ? Quelle réponse sécuritaire, quelle réponse politique aussi, puisque l'unité nationale post-Charlie ne se reproduirait pas, tous les proches du président en étaient sûrs ? Il fallait donc pour l’Elysée créer les conditions pour la mettre en place. D’où ce coup tactique pour couper l’herbe sous le pied de la droite. D'ailleurs, dans un premier temps, le piège politique préparé bien à l'avance, a fonctionné : la droite à son grand dam a bien du mal à exister.

Plus que président socialiste, François Hollande se montre donc pragmatique. Et réviser le logiciel socialiste sous la pression des événements finit par se heurter à un très gros écueil. Car s’ils sont quelques socialistes et écologistes à craindre officiellement un état d’urgence permanent ou à pointer déjà une véritable dérive sécuritaire, c’est surtout la déchéance de nationalité qui a mis le feu aux poudres : l’émotion post-attentats passée dans la majorité, les langues se délient.

Un ministre sous couvert de l'anonymat, furieux, a même parlé de dérive pétainiste, et à l’Assemblée nationale ils sont nombreux les députés à afficher leur opposition comme Mathieu Hanotin, élu de Seine-Saint-Denis : « c’est un mauvais symbole car ça vise à dire que le problème c’est l’étranger, le "faux français". Je suis convaincu que ca ne fait qu’accréditer les thèses de Marine Le Pen visant à dire qu’il y a les vrais Français de souche d’un côté et les Français de papier de l’autre. »

Couac au sein du gouvernement

Poursuivre sur cette voie François Hollande et Manuel Valls, l’ont mesuré ces derniers jours, c’était prendre un risque énorme à 18 mois de la présidentielle : celui d'une fracture politique, d’une rupture avec leur camp. Alors tant pis si 90% des Français sont favorables à la mesure, tant pis si la droite hurle déjà au reniement, tant pis enfin si la droite tient un argument pour refuser la réforme : ne pas offrir au président un vote du parlement à la majorité des 3/5, soit un nouvel épisode de cette concorde nationale qui lui réussit si bien dans les enquêtes d'opinion.

Aux côtés de Mauel Valls se tiendront les ministres de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice, Christiane Taubira, par qui le scandale est arrivé hier. Car si l’Elysée a beau tenter de sauver les meubles avec cette affirmation, la question sera tranchée dans les toutes dernières heures, c’est désormais quasi-certain.

La Garde des Sceaux a bien grillé la politesse de l’exécutif, en annonçant elle-même d’Alger le retrait de la déchéance de nationalité du texte, un vrai couac doublé d’une grosse maladresse politique. La droite s’est d’ailleurs déchaînée sur sa cible tant détestée et son annonce de politique intérieure faite de l’étranger. Avalanche de critiques aussi sur ce qu’on juge être un reniement du président.

Pourtant, Nicolas Sarkozy, en juillet 2010, évoque cette mesure, lors du discours de Grenoble. Mais à l’époque c’est pour les assassins de gendarmes et de policiers.
Deux mois plus tard c’est voté, mais quasi immédiatement 68 députés lancent une fronde contre le dispositif et ils gagnent. En mars 2011, Claude Guéant ministre de l’Intérieur de l’époque justifie ce retrait avec cet argument : une disposition uniquement symbolique, qui ne justifie pas de courir le risque de diviser la majorité. Un souvenir qu’a dû méditer François Hollande ces derniers jours, mais un peu tard.

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